Actualités 6 octobre 2014

Les producteurs devront-ils changer leur méthode de gestion des parcs?

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Depuis les cinq dernières années, une tendance lourde se dessine dans l’industrie des équipements agricoles. Les grands manufacturiers souhaitent augmenter le pourcentage de machines livrées en prévente. Au lieu de remplir les cours des concessionnaires de tracteurs et d’équipements dans l’espoir de les voir s’écouler graduellement sur le marché, ils souhaitent recevoir des commandes pour des tracteurs et machines déjà vendues.

Cette stratégie, commune en Europe et ailleurs dans le monde, mais à l’encontre de la tradition en Amérique du Nord, permet aux manufacturiers de planifier la production. Concrètement, cela signifie qu’un grand manufacturier peut arrondir les périodes de pointe de production et faire tourner l’usine à un rythme plus régulier, douze mois par année. Pour le concessionnaire, le fait de ne pas avoir à supporter un lourd inventaire constitue un avantage commercial considérable. Il réduit aussi le risque d’avoir en main des invendus en fin de saison.

Cette tendance risque d’avoir un impact direct sur la façon de faire du producteur agricole. Le jour arrivera peut-être où, se présentant chez son concessionnaire, il ne pourra trouver dans la cour qu’un démonstrateur et n’acquérir un tracteur que sur papier, attendant ensuite de longs mois avant la livraison. Au Québec, il semble que dans la plupart des cas nous soyons encore loin de ce scénario. Mais la tendance se dessine de plus en plus nettement.

« L’objectif d’AGCO de réduire les inventaires chez les concessionnaires est une réalité, témoigne Michel Noël, président de Machineries Nordtrac, comptant quatre concessions au Québec. Ce matin, par exemple, nous avons vendu deux tracteurs qui n’ont même pas encore été fabriqués. Nous vendons des tracteurs sur photos. » Évidemment, les clients devront attendre au moins six mois avant la livraison de leur véhicule mais, comme l’indique M. Noël, ces derniers recevront exactement ce qu’ils souhaitent.

« Le phénomène de préventes ne touche, pour le moment, que 15 à 20 % de nos livraisons. Nous continuons à commander des tracteurs pour notre inventaire. Nous pouvons gérer les demandes de dernière minute en puisant dans les réserves de nos autres points de vente ou chez d’autres concessionnaires AGCO. Cette tendance de réduire les inventaires est une réalité pour tous les fabricants. Et les producteurs agricoles embarquent graduellement dans le mouvement. »

Cette analyse est confirmée par Robert Morissette, gérant de territoire pour le Québec chez Case IH. « Dans un contexte de forte demande pour les tracteurs, les usines doivent prioriser la production. C’est certain que les tracteurs prévendus seront livrés en priorité comparativement aux machines commandées pour remplir les stocks des concessionnaires », explique M. Morissette. Ce dernier ne cache pas la stratégie de Case IH de réduire les inventaires dans la cour des concessionnaires à un strict minimum. Selon lui, l’implantation graduelle de cette politique n’aurait pas d’incidence sur les ventes.

Selon M. Morissette, présentement, entre 30 et 50 % des tracteurs Case livrés au Québec ont été achetés d’avance. Et cette tendance est en progression. « Les producteurs agricoles possédant d’importants parcs de machinerie connaissent déjà le phénomène et agissent en conséquence. Ils savent qu’en s’y prenant au moins six mois d’avance ils vont recevoir leur tracteur à temps. » Tout comme ses collègues, le gérant de territoire de Case IH souligne qu’avec la multitude de tracteurs et d’options, le producteur qui veut une machine spécifique n’aura plus guère le choix que de s’y prendre d’avance.

Ce qui est une politique en développement chez les manufacturiers de tracteurs est déjà en force chez des fournisseurs d’équipements plus spécialisés, surtout s’ils proviennent d’Europe. Même chez un concessionnaire de tracteurs nord-américains, la livraison d’accessoires spécialisés peut tomber sous la coupe des commandes en attente. « C’est pire que dans le tracteur, tranche Michel Noël lorsqu’on lui lance l’exemple d’un semoir 24 rangs. Pour des demandes pointues, le client devra prévoir au moins un an d’avance son investissement. »

Gerry Leonard, directeur des ventes pour le Québec chez Farm Fleet, donne un exemple intéressant à ce sujet. « Nos gros vendeurs sont les voitures à ensilage. Notre fournisseur H&S compte dans son catalogue 71 modèles différents. On ne peut même pas envisager l’idée de les avoir tous à la disposition du client. On prend donc quelques exemplaires des modèles que nous évaluons les plus populaires et commandons les autres à la pièce. » Avec une si vaste possibilité d’options, le concessionnaire ne veut pas nécessairement prendre le risque de commander des machines qui resteront dans sa cour.

« Vous savez, si nous avons dans la cour un chargeur doté de la climatisation, le client ne voudra pas payer pour cette option et si, au contraire, il n’en a pas, le client retardera sa décision d’achat », illustre à son tour Jean-Marc Lambert, de Silo J.M. Lambert.

Également vendeur des mélangeurs automoteurs Faresin, l’entrepreneur souligne que pour ce type d’équipement très spécialisé, il faut compter au moins trois mois avant la livraison. « En fait, les bases sont prêtes, mais les machines sont complétées sur la chaîne de montage selon les spécifications du client. C’est donc une approche de livraison sur mesure. »

M. Lambert est conscient du problème que connaissent certains producteurs québécois désirant acheter une machine qui se trouve déjà dans la cour du concessionnaire ou qui a besoin rapidement d’une machine à la suite d’un bris. « Nous allons commander quand même du manufacturier certaines machines que nous croyons être en mesure d’écouler sur le marché. Nous avons aussi des équipements que nous pouvons louer ou prêter à un client qui en aurait besoin dans l’attente de la livraison de la nouvelle machine. »

Bref, que ce soit pour les tracteurs ou les équipements neufs, les prochaines années vont voir survenir la réduction des inventaires dans la cour des concessionnaires. L’habitude des producteurs de faire des achats sur place en espérant repartir le jour même avec l’objet de leur désir est en voie de disparition. La stratégie des manufacturiers et les réalités du marché obligent les producteurs à revoir leurs façons de faire. Il y aura probablement encore longtemps des machines dans l’inventaire des concessionnaires au Québec. À savoir si c’est exactement la machine que veut le producteur, c’est une toute autre paire de manches.