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La conjoncture actuelle rend le transfert de ferme plus difficile. D’autant plus que plusieurs agriculteurs n’ont pas pris le temps de bien mettre en place une stratégie de transfert, constate Benoit Curé, dont l’organisme L’Arterre a accompagné gratuitement plus de 600 entreprises dans diverses formes de transferts au cours de la dernière année.
« L’éléphant dans la pièce, c’est le transfert d’entreprise. On a développé de belles fermes au Québec, mais on n’a pas assez pensé au transfert. Les questions d’endettement, d’équité et de fiscalité, plusieurs [cédants] ne les ont pas vues. Ils se réveillent, et oups… il y a beaucoup à faire. Ils le réalisent trop tard et ils manquent de temps et d’énergie pour effectuer un bon transfert ou pour aller chercher le maximum de gains », analyse le coordonnateur de L’Arterre. Il recommande de planifier plus tôt la transmission des entreprises agricoles. « Combien désirez-vous d’argent [à la retraite] et combien êtes-vous prêt à en laisser sur la table pour la relève? » questionne-t-il.
La situation économique actuelle et le sondage de l’Union des producteurs agricoles divulgué à la mi-avril, lequel indiquait que l’horizon financier s’assombrit pour les fermes du Québec, ont motivé davantage d’agriculteurs à contacter L’Arterre pour discuter du transfert de leur entreprise, observe M. Curé. Les cédants devront cependant faire des concessions, dit-il. « Si quelqu’un veut transférer une entreprise laitière de 5 M$, la relève doit avoir une mise de fonds de 20 % pour l’acheter, c’est-à-dire qu’elle doit déjà être millionnaire en partant. Ça ne fonctionnera pas sans compromis du cédant », assure-t-il.
Des fermes plus difficiles à transférer
Plusieurs intervenants contactés par La Terre remarquent qu’un grand nombre de fermes deviennent plus difficilement transférables en raison de la hausse des taux d’intérêt, mais aussi en raison de l’endettement qui a gonflé, sans pour autant que les investissements choisis s’avèrent plus rentables.
L’agriculteur Christian Kaiser a remarqué ce phénomène, lui qui vient justement de visiter plusieurs fermes laitières à vendre dans différentes régions, en vue d’en acquérir une. « Il y a des fermes où les investissements n’ont pas nécessairement été faits pour dégager plus de cash flow. Il est là, le problème, car dans un transfert, le jeune qui arrive n’a pas d’argent. Les actifs doivent rapporter des revenus, car les paiements sont faits sur les actifs », souligne-t-il. L’endettement menotte aussi les vendeurs. « Beaucoup de vendeurs, même s’ils voulaient aider la relève, disons qu’ils ne peuvent pas aider tant que ça à cause de la dette. Si le vendeur a déjà 60 % de dette, il doit les payer en sortant, donc il ne peut pas vraiment sortir et aider la relève à rentrer en même temps. Ces fermes-là vont-elles être transférables? » se demande-t-il.
Au Bas-Saint-Laurent, Antonine Rodrigue, conseillère au Centre régional d’établissement en agriculture du Bas-Saint-Laurent, partage des chiffres selon lesquels 30 % des entreprises agricoles de la région n’ont pas de relève identifiée. Plusieurs de ces entreprises semblent difficilement transférables, soit en raison de l’endettement, d’un manque d’entretien ou d’une faible rentabilité opérationnelle, énumère-t-elle.
« Le beau côté des choses, c’est qu’il y a des jeunes qui s’intéressent à l’agriculture, qui croient en l’avenir. C’est motivant. Il s’agit donc de préparer les propriétaires à poser des actions pour rendre leur entreprise plus transférable », mentionne-t-elle. Parmi les actions, elle cible l’amélioration des méthodes, la diminution des coûts de production, que ce soit l’alimentation des animaux ou le carburant, par exemple. « Il s’agit de régler les problèmes pour augmenter la profitabilité de l’entreprise », résume-t-elle.
Un bon mentor… qui reste
Un point névralgique demeure l’accompagnement de la relève, stipule la conseillère Antonine Rodrigue. « Je vais vous le dire, le transfert d’une ferme, familiale ou non apparentée, c’est tout un défi. La cogestion, ce n’est pas facile. Et dans le non-apparenté, même s’il y a des super belles adoptions, en général, le mentorat ne dure pas longtemps, car les jeunes ont leurs idées, leur réalité [de remboursement de prêt], tandis que le cédant, qui faisait les choses de telle façon depuis 30 ans, ne comprend pas pourquoi il faut changer ses façons de faire. Pourtant, l’aide du cédant, d’un mentor, est très importante », exprime-t-elle.
Au Groupe Proconseil, en Montérégie, la conseillère en transfert d’entreprise Émylie Cossette fait remarquer que plusieurs propriétaires de ferme sont fiers de voir officiellement leurs enfants prendre la relève. « Ils disent ‘‘Wow! C’est le fun; la ferme va continuer.’’ Mais ils ne sont pas préparés à travailler avec leur relève qui a une vision d’entreprise différente, une vie personnelle différente et des façons de travailler différentes. » Cela peut entraîner des irritants et des conflits humains qui peuvent nuire au transfert. « Je ne dis pas que les gens se crient partout par la tête, mais dans la majorité des fermes, la situation mérite de s’y attarder. Il y a des choses qui se disent [entre la relève et les cédants], qui ne seraient pas acceptables dans d’autres milieux de travail. Il y a toutefois de belles histoires de gens qui mettent des moyens en place pour diminuer les irritants, et ça fait une différence », assure celle qui détient un doctorat en psychologie.
Payer moins d’impôt en vendant à la relève
Vendre sa ferme à une relève peut permettre des réductions d’impôt substantielles comparativement à faire encan et tout liquider d’un coup. La fiscaliste Doria Bargain, de SCF Conseils, explique que dans le cas d’une ferme non apparentée, le vendeur qui finance en partie la relève peut répartir son gain en capital sur cinq ans et ainsi réduire sa facture fiscale. Cette réduction d’impôt pourrait même s’étirer sur une plus longue période si des actifs peuvent être morcelés, vendus et financés à cette relève plus tard. Le transfert de la ferme à ses propres enfants est encore plus avantageux d’un point de vue fiscal. Premièrement, une donation est 100 % libre d’impôt. « Il peut aussi s’agir d’une stratégie mixte. Je viens de travailler sur la transaction d’une ferme de 4 M$. Le père, qui détenait toutes les actions, a fait un don pour une valeur de 3 M$ en actions et il souhaitait encaisser une valeur de 1 M$ pour sa retraite, donc il vend pour une valeur de 1 M$ d’actions à la compagnie de son fils, en respectant certains critères. Cela lui donne droit à son exonération en gain en capital », décrit-elle.