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L’apprentissage d’une nouvelle culture comporte presque toujours son lot de surprises. Parlez-en à Mathieu Bouchard et Pascale Grenier, qui se sont lancés en 2010 dans la production de cerises griottes avec l’intention de les vendre fraîches. Le couple a découvert à son grand étonnement un fruit savoureux, mais trop acide pour le palais des consommateurs. À force d’efforts et de persévérance, ils ont réussi à se tailler une place grâce à la transformation.
Troisième génération au Verger R.J. Bouchard à Saint-Paul-d’Abbotsford, Mathieu Bouchard caressait le projet d’ajouter une nouvelle production aux pommes d’emballage et aux légumes que la ferme familiale produisait déjà. À l’occasion d’une conférence sur les cultures émergentes, les cerisiers nains développés par l’Université de la Saskatchewan ont piqué sa curiosité. « On nous a présenté la griotte comme une cerise douce qui se vendait sur le marché frais, peu connue au Québec, mais appréciée des Européens », se remémore-t-il.
Le couple a planté 550 arbrisseaux en 2010. Lorsqu’il a enfin goûté aux premiers fruits, quatre ans plus tard, ce fut la déception. « On retrouve l’arôme de la cerise, mais son goût est très acidulé par rapport aux cerises de la Colombie-Britannique vendues en épicerie. On a contacté quelques commerçants parmi nos clients. La majorité l’a essayée, mais les fruits sont presque tous restés sur les comptoirs. »
Une rencontre décisive
En quête de débouchés pour leurs griottes, les producteurs ont fait la rencontre de Gilles Beaulieu, propriétaire de la Ferme Le Temps des cerises, dans la municipalité de Charette, en Mauricie. « L’homme est un pionnier [NDLR : il a planté ses premiers cerisiers en 2001] qui avait monté un projet agrotouristique très populaire. On a réussi à écouler notre production chez lui pour la transformation. »
Cependant, Le Temps des cerises avait perdu quelque 8 000 arbres en l’espace de deux ans en raison du nodule noir et d’une tempête de grêle. Gilles Beaulieu a contacté Mathieu Bouchard en 2015 pour lui annoncer que l’aventure s’arrêtait pour lui. La marque de commerce Croque-cerise, les recettes, de même qu’une partie de l’équipement de transformation ont fait l’objet d’une transaction.
Le couple a dû se familiariser au métier de transformateur avec l’aide précieuse de Nancy – la sœur de Mathieu – qui s’est grandement investie dans ce volet de l’entreprise familiale. Ils ont rapidement découvert que si la griotte ne convenait pas au marché frais, elle s’avérait idéale pour la transformation. C’est d’ailleurs cette cerise acidulée qu’on savoure confite dans les desserts ou dans les garnitures à tarte.
Commercialisation
En plus des confitures, du jus concentré et des autres produits dérivés offerts dans plus de 50 points de vente, leur compagnie – Unifruits – vend une partie de la production pour le marché des distilleries et des microbrasseries. On peut même retrouver leurs griottes dans certains bars laitiers de Montréal. Enfin, les cerises fraîches trouvent preneur auprès des consommateurs originaires d’Europe. « Ils connaissent déjà la griotte et la recherchent pour la transformer en liqueurs alcoolisées qu’ils consomment à Noël. »
Mathieu Bouchard admet que de commercialiser un produit méconnu du public représente un effort supplémentaire et une bonne dose de pédagogie. « C’est très difficile, surtout au début. La cerise est connue des gens, donc ils sont contents de l’essayer, mais après l’avoir goûtée, ils déchantent vite, car ils ne sont pas habitués à cette acidité. C’est pourquoi on va parler de griottes. Les gens sont moins familiers avec le nom et ils ont moins d’appréhensions », explique le producteur, qui, avec sa conjointe Pascale, fait le circuit des marchés publics et des salons de métiers d’art pour rejoindre un maximum de consommateurs.
Défis agronomiques
Selon Mathieu Bouchard, la culture de griottes dans la Belle Province représente plusieurs défis, à commencer par le manque de connaissances agronomiques spécifiques au contexte québécois. « Les variétés de cerisiers nains SK ont été développées dans les Prairies et le guide de production de l’Université de la Saskatchewan n’est pas du tout adapté à notre réalité, constate-t-il. Leurs étés sont chauds et secs, tandis que les nôtres sont chauds et humides. Selon le guide, il n’est pas nécessaire d’appliquer des fongicides. Ici, les arbustes ont perdu leurs feuilles dès la première année en raison de la tache de la feuille! »
Idem pour la pression des ravageurs qui est beaucoup plus importante dans un secteur horticole comme Saint-Paul-d’Abbotsford, comparativement aux grandes plaines céréalières de l’Ouest canadien.
Le producteur se félicite d’ailleurs d’avoir de l’expérience en pomiculture et de bénéficier des précieux conseils de ses parents. « Autrement, les griottiers n’auraient jamais survécu, tranche-t-il. Beaucoup d’entrepreneurs ont dû abandonner leur projet de cultiver des cerises, car ils débutaient en agriculture. Ce sont des arbres sujets aux maladies comme les pommiers et ils nécessitent des soins. »
En revanche, les récoltes sont de 50 % supérieures aux références du guide de l’Université de la Saskatchewan. « Peut-être que les références sont datées. Néanmoins, notre saison végétative est plus longue que dans les Prairies et on a de l’eau toute la saison. Ici, les plants sont très vigoureux. »
Chose certaine, cette culture représente un apprentissage constant. À preuve, le verger accueille une nouvelle plantation avec, cette fois-ci, un meilleur espacement en vue d’une éventuelle récolte mécanique. Une nouvelle dénoyauteuse est également en route.
Alors que l’entreprise entame sa 13e saison, Mathieu Bouchard se dit fier du chemin parcouru. « Avoir réussi à produire de façon durable des cerises au Québec, en soi, c’est un exploit. »