Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
C’est parti pour les maraîchers du Québec. Un peu partout sur le territoire, les semis sont en terre et le travail d’entretien des superficies est amorcé. Pour de nombreuses entreprises maraîchères, la saison des semis correspond aussi à celle de l’accueil de travailleurs étrangers temporaires. Dans certains cas, comme à la Ferme maraîchère A. Guinois et Fils de Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie, le retour de ces travailleurs latino-américains ressemble beaucoup à celui de membres de la famille partis depuis trop longtemps.
La Ferme maraîchère A. Guinois et Fils embauche des travailleurs étrangers temporaires depuis 1993. Ça a d’abord été des Mexicains, puis, en 2003, des travailleurs guatémaltèques se sont ajoutés. Une dizaine de ces travailleurs étrangers s’activent déjà sur la ferme d’une centaine d’hectares en culture. Les autres arriveront sous peu pour assurer l’entretien des champs et la récolte de laitues, d’aneth, de persil, de coriandre et de basilic.
Certains de ces travailleurs ne sont visiblement étrangers que pour des fins administratives, tellement leur ancrage en sol québécois remonte à loin. « Cette année, sur nos 30 employés, 9 sont avec nous depuis plus de 15 ans », indique Geneviève Guinois-Côté, copropriétaire de la ferme avec sa sœur Anick, son frère Samuel, son père Alain et sa mère Josée Côté. Pour quelques-uns, on parle littéralement d’une carrière au sein de l’entreprise. « Nous avons Nicolas qui revient cette année. Pour lui, ce sera sa 27e année avec nous. Nous en avons un qui en est à sa 24e année, et un autre, à sa 22e », énumère l’entrepreneure.
Comme une deuxième famille
Cette capacité de rétention n’est peut-être pas étrangère à l’attention que prête la famille Guinois-Côté à ses travailleurs venus de loin. Pour elle, tous ces gens représentent davantage que de la simple main-d’œuvre venue chercher du travail. « Ces gens-là font tout de même le sacrifice de venir travailler ici pour environ six mois », souligne Anick Guinois-Côté. Il faut cependant dire que l’exemple vient de haut. « Nous, les trois enfants, on a repris en 2015, mais avant, mon père et ses partenaires ont réussi à créer un groupe qui se tient, ajoute Geneviève. Alors, on poursuit. On continue à travailler fort là-dessus », poursuit celle qui savait depuis à peu près toujours qu’elle serait agricultrice. « Ils arrivent dans une nouvelle culture, une nouvelle langue, alors on se dit que s’ils se joignent à un groupe qui ressemble à une deuxième famille, ils se sentiront bien », dit-elle.
Plusieurs moyens existent pour former cet esprit de corps dans un groupe de travailleurs. Il y a l’incontournable écoute, bien entendu, de même que la nécessaire rétroaction sur le travail accompli. Au-delà de tout cela, il y a aussi toutes ces petites choses en apparence anodines qui font plaisir, comme de souligner la fête nationale du Mexique et du Guatemala, en plein cœur des récoltes, le 15 septembre. « À force de côtoyer ces personnes, on en vient à connaître ce qui est important pour eux. Ça compte, pour nous, de souligner ces moments qui sont importants pour eux. Ce sont des gens très, très fiers », soutient Geneviève Côté-Guinois.
Côtoyer des gens, comme ça, pendant autant d’années, conduit inévitablement à développer des liens d’amitié assez profonds, au point de se faire inviter là-bas, au Mexique. « Le premier voyage, ce sont mes parents qui l’ont fait », raconte Geneviève. « Pour eux, ça a été un voyage fantastique », précise-t-elle.
Les deux sœurs aussi ont été invitées au Mexique, et ce, deux fois plutôt qu’une. « On a visité plusieurs États, dont ceux de Veracruz, Hidalgo et Mexico », souligne Anick, qui connaît déjà la destination de leur prochain voyage : le Guatemala.
Comprendre l’autre
Si les voyages forment la jeunesse, ils forment visiblement aussi les entrepreneures. Gérer du personnel issu d’une autre culture représente souvent un défi pour les dirigeants d’entreprises. « Quand tu les visites, tu te rends compte de ce qui est important à leurs yeux. Tu vois aussi quelle est leur façon de fonctionner, là-bas », explique Geneviève, dont la dernière visite remonte à 2018. « Des fois, on essaie de les aider, de leur apporter du soutien et de leur expliquer comment ça fonctionne ici et finalement, en allant les visiter, on se rend compte qu’on ne s’y prend pas nécessairement de la bonne façon », ajoute la maraîchère.
Des voyages de ce type apportent aussi quelque chose de plus profond que de développer de meilleures méthodes pour gérer des travailleurs étrangers. Pour les deux sœurs, se rendre chez ces gens, vivre dans leur maison et fréquenter leur village, leur a permis de mieux connaître, mais surtout, de mieux comprendre ceux avec qui elles partagent une partie de leur vie chaque année. « Au début, ils nous disaient que notre village est vraiment tranquille, qu’il ne s’y passe rien, que c’est un peu plate », se rappelle Geneviève, d’un ton amusé. « Moi, je me disais qu’un village, c’est un village. Qu’il soit au Québec ou au fond du Mexique, ça doit se ressembler », poursuit l’entrepreneure, le sourire dans la voix. « Finalement, pantoute! » lance-t-elle. « Un village dans le fond du Mexique, y a le centre où tout le monde se retrouve et discute. Un marché s’y tient chaque semaine et c’est là qu’ils achètent leurs fruits et leurs légumes. Les commerces autour leur permettent de se procurer le reste de ce dont ils ont besoin, à pied », se souvient Geneviève. « C’est là qu’on a compris, moi et Anick, pourquoi notre village leur paraît tranquille et un peu plate. »
Comme ici, à une autre époque
Ce qui a le plus frappé Geneviève Guinois-Côté, lors de son voyage au Mexique, c’est « la vie », le sens de la communauté qui anime les citoyens du village où elle est descendue. « Tout le monde se connaît! » s’exclame la productrice. « Les gens se croisent et se saluent; chacun a un surnom pour chacun, qu’ils se transmettent de génération en génération », raconte-t-elle. « Par exemple, le fils d’un de nos travailleurs se fait appeler Bottine, alors que le petit-fils, c’est Botino », illustre Geneviève dont la ferme accueillera deux nouveaux travailleurs cette année. « C’est le fun aussi d’accueillir des nouveaux. C’est aussi plaisant de voir des plus jeunes se joindre à l’équipe, qui arrivent, comme partout ailleurs, avec des façons différentes de travailler et d’être, tout simplement. »