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Il n’y a pas si longtemps, le producteur biologique n’était pas pris au sérieux… Mais graduellement, des producteurs conventionnels lui prêtent attention et adoptent quelques-unes de ses pratiques!
En grandes cultures, certains agriculteurs sous régie conventionnelle remarquent que les techniques associées à la monoculture ont permis d’exploiter leurs champs à capacité maximale. Ils cherchent d’autres solutions. « La majorité des gens dans mes cours d’agriculture aux adultes sont des producteurs conventionnels qui viennent s’informer du bio sans toutefois devenir bio. Plusieurs me disent ensuite qu’ils ont amélioré la rentabilité de leur ferme. L’un d’eux m’a déjà mentionné : “Ton cours, c’est l’affaire la plus payante que j’ai faite!” faisant référence à sa diminution d’achats d’herbicides et d’engrais, sa meilleure gestion des fumiers, celle de ses sols et l’accroissement de ses rendements », explique Denis La France, professeur au Cégep de Victoriaville et expert du Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CÉTAB+).
L’enseignement de l’agriculture s’effectue souvent en plein champ, entre voisins. Situés en Montérégie Ouest, Loïc Dewavrin et ses frères reçoivent, depuis 20 ans, la visite de nombreux agriculteurs dans leur ferme biologique de 600 hectares. L’un des éléments-clés de leurs discussions concerne les pratiques améliorant la santé du sol. Si chère et obligatoire à la réussite des producteurs biologiques, la volonté d’obtenir un sol sain gagne en popularité dans plusieurs fermes sous régie conventionnelle. Surtout celles dont les sols sont abîmés ou en voie de l’être. « Les engrais verts, en bio, se révèlent une pratique de conservation des sols essentielle, fournissant de nombreux avantages : amélioration de la structure du sol, valeur fertilisante accrue, colonisation de l’espace donnant moins de récurrences des mauvaises herbes, diminution de la compaction de la machinerie, etc. », explique M. Dewavrin. « Et les producteurs conventionnels qui veulent augmenter leurs performances l’adoptent, soit parce qu’ils ont observé les résultats des bio, soit parce qu’ils en ont constaté eux-mêmes les bienfaits », poursuit celui qui croit que l’utilisation des engrais verts deviendra encore plus névralgique pour les producteurs conventionnels. « Avec le prix du pétrole à la hausse, celui des engrais de synthèse grimpera également et les conventionnels devront revenir à cette technique des engrais verts, de même qu’à la valorisation des fumiers pour accroître leurs bénéfices », analyse-t-il.
Chez les maraîchers
Les producteurs maraîchers doivent produire des fruits et des légumes sans défauts, tout en jonglant avec les préoccupations environnementales grandissantes des consommateurs (sans oublier le scandale, il y a quelques années, des cours d’eau contaminés de pesticides dans des zones maraîchères de la Montérégie). Plusieurs agriculteurs sous régie conventionnelle recourent donc à des techniques employées par leurs confrères biologiques pour lutter, sans produits chimiques, contre les ravageurs. « Des essais sont effectués afin de diminuer l’application de fongicides, et ce, en contrôlant les champignons par biofumigation [technique où une plante comme la moutarde, une fois qu’elle est enfouie, libère des composés toxiques pour divers organismes présents dans le sol lors de sa décomposition]. Une autre technique provenant principalement des producteurs bio concerne le désherbage au brûleur. Ce procédé permet, d’une part, de diminuer les applications d’herbicides et, d’autre part, de contrer le phénomène de résistance », explique Franck Bosquain, directeur adjoint à la recherche chez PHYTODATA inc., un organisme affilié au réseau PRISME œuvrant principalement dans le domaine maraîcher. Le concept de résistance s’avère particulièrement important puisqu’il témoigne d’une diminution de l’efficacité des pesticides, conduisant à des pertes de rendement et obligeant des producteurs à augmenter la dose. « Il faut développer l’utilisation de techniques alternatives aux pesticides, car lorsque l’on note un phénomène de résistance et qu’il y a, par exemple, seulement un ou deux herbicides d’homologués, l’agriculteur n’a plus de solution. Les mauvaises herbes se multiplient alors suffisamment pour que la culture ne soit plus viable. Les pertes financières sont significatives », soutient M. Bosquain.
Et les bioproduits
Les bioproduits utilisés à la ferme, qui regroupent les biofongicides, les bioherbicides, les biostimulants et autres gagnent en popularité, notamment chez les producteurs sous régie conventionnelle. Sans compter qu’ils prennent une dimension commerciale sans précédent. Le géant Monsanto vient d’annoncer son implication dans les biopesticides, tout comme une autre entreprise mondiale, l’Allemande Bayer. « Bayer consacre des ressources importantes pour développer et mettre en marché de nouveaux bioproduits destinés aux maraîchers de même qu’aux producteurs de grandes cultures (maïs). À cet effet, nous vendons déjà le biofongicide Serenade dans certaines fermes du Québec », rapporte Christian Beaudry, directeur des ventes horticoles chez Bayer. Ce dernier ajoute que l’engouement pour les bioproduits s’explique par la demande des agriculteurs de remplacer une partie des produits chimiques, mais aussi par les normes d’homologation qui sont de plus en plus difficiles à obtenir avec des molécules synthétiques.
Au sud de Montréal, aux Fermes R.R. & Fils inc., les Rémillard produisent des carottes et des oignons verts à grande échelle, avec l’objectif de réduire leurs volumes de produits chimiques grâce aux alternatives biologiques; une façon pour eux de mieux positionner l’entreprise dans un marché hyper compétitif. « Il faut enlever la vieille mentalité voulant qu’on applique des fongicides systématiquement aux sept jours, soutient Éric Rémillard, copropriétaire. Nous ne désirons pas devenir bio, mais nous possédons cette volonté de diminuer de 40 % nos applications de pesticides. Par valeurs personnelles, mais aussi pour nos clients. Nous espérons y arriver avec un dépistage minutieux, en utilisant des biofongicides, des biostimulants (voir autre texte Vaccinez vos plantes) ainsi qu’en employant des techniques de lutte intégrée comme le relâchement de mouches stériles », décrit-il. Les alternatives biologiques des Rémillard n’entraînent ni une diminution, ni une augmentation de leurs coûts de production. Idem pour les prix de vente. « Pour l’instant, nous n’obtenons pas un prix supérieur, mais à moyen terme, nos efforts pourraient devenir un atout pour l’entreprise », estime Éric Rémillard.
Un partage de techniques
L’époque où les producteurs conventionnels regardaient de haut les bio tend à être révolue. Quelques préjugés subsistent – certains vous le diront –, mais les conventionnels savent, plus que jamais, qu’il faut s’ouvrir à différentes techniques pour poursuivre l’accroissement des rendements. Parallèlement à cela, M. Dewavrin assure que le partage d’informations entre tous types d’agriculteurs se révèle bénéfique. « Nous obtenons des performances intéressantes, sans employer de pesticides ni de fertilisants synthétiques. On fait un effort pour l’environnement et la santé des gens, mais ça ne donnerait pas grand-chose si nous étions les seuls. Alors, depuis 20 ans, on partage nos connaissances avec les autres producteurs, qu’ils soient biologiques ou conventionnels. Nous leur apprenons des choses et certains nous en apprennent. C’est très enrichissant », ajoute-t-il.
Si des producteurs sous régie conventionnelle ont bel et bien amélioré leurs pratiques et leur profitabilité grâce aux notions issues du monde biologique, l’inverse est aussi vrai. « Les bio ont effectivement adopté ou adapté plusieurs éléments provenant de la recherche destinée à l’agriculture conventionnelle; l’inoculation des mycorhizes, par exemple. Aussi, la technique du semis direct sur couvre-sol s’est d’abord développée avec des herbicides et les bio arrivent maintenant à le faire. En fait, les producteurs bio ne vivent pas dans une bulle, ils apprennent des techniques des conventionnels, tout comme les conventionnels apprennent celles des bio », résume le professeur La France.