Politique 8 mai 2023

Travail des enfants : une exception agricole demandée

Le projet de loi 19 sur l’encadrement du travail des enfants prévoit fixer à 14 ans l’âge minimum pour travailler. Bien que les enfants de moins de 14 ans dont les parents agriculteurs sont propriétaires d’une entreprise familiale en soient exemptés en grande majorité, le projet de loi pourrait priver certains producteurs d’un bassin de main-d’œuvre névralgique durant la période des récoltes. 

À Mirabel, la productrice de petits fruits Chantal Demers embauche entre 150 et 250 jeunes âgés de 12 à 15 ans par saison depuis 30 ans. Gracieuseté du Centre d’emploi agricole d’Outaouais-Laurentides

Si le projet de loi était adopté prochainement dans sa forme actuelle, les producteurs de fraises et de framboises n’auraient pas le temps de pourvoir leurs postes vacants avant le début de la saison, indique la directrice générale sortante de l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec, Jennifer Crawford. « Ça prend un an pour faire venir des travailleurs étrangers temporaires. Si [les producteurs] ont 20 ou 30 jeunes de moins, les fraises resteront au champ cet été », soutient-elle. 

Sur 350 fermes de fraises et framboises au Québec, plus de la moitié sont des fermes de petite ou de moyenne taille qui embauchent de la main-d’œuvre locale. « Au courant du mois de la fraise d’été, tu peux avoir une cinquantaine de jeunes qui viennent à la ferme. Tu peux en avoir la moitié qui aura 12 ou 13 ans et l’autre qui aura 14 ou 15 ans », estime Mme Crawford. Le travail de récolte saisonnier constitue également une porte d’entrée pour ces jeunes, poursuit-elle, qui viennent souvent pourvoir d’autres postes à la ferme les années suivantes. 

En commission parlementaire, le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Martin Caron, a demandé que la limite de 14 ans ne s’applique pas aux employés de fermes pendant la saison estivale. « Il s’agirait d’ajouter à cette exception l’enfant qui participe, dans une exploitation agricole, au travail du sol ou de la terre en vue de la production de végétaux ou d’élevage d’animaux ou de la vente ou de la livraison du produit cultivé », a souligné M. Caron, devant les parlementaires, le 19 avril.

À Mirabel, la productrice de petits fruits Chantal Demers embauche entre 150 et 250 jeunes âgés de 12 à 15 ans par saison depuis 30 ans. En 2022, seulement 10 jeunes sur 150 étaient âgés de 14 ans et plus. 

Elle observe depuis les dernières années, même si cela ne concerne pas tous les jeunes, que les 12-13 ans sont de moins en moins débrouillards et ont moins le sens du travail et des responsabilités. Avant même la sortie du projet de loi, la productrice avait pris la décision d’embaucher seulement des jeunes de 14 ans et plus cette saison-ci. Résultat : elle n’a que quatre noms sur sa liste pour l’instant, dont un de 12 ans qui a, selon elle, les aptitudes et la maturité pour effectuer le travail de récolte. L’expérience lui fait dire que le téléphone sonnera à la fin de l’année scolaire, mais elle s’inquiète tout de même, puisque l’attrait des 14 ans et plus pour travailler dans la restauration rapide ou dans les épiceries semble plus fort.

Les enfants des propriétaires

Une disposition du projet de loi 19 autorise les enfants d’un employeur de moins de 14 ans à travailler dans une entreprise familiale qui compte moins de 10 salariés. En commission parlementaire, Martin Caron a mentionné que cette exception couvre la quasi-­totalité des entreprises agricoles de la province, puisque la moyenne provinciale est de six employés par ferme. 

Ayant plus de 10 salariés, Chantal Demers s’indigne d’une telle limite. Selon elle, il aurait été impensable que ses enfants (aujourd’hui adultes) ne puissent mettre la main à la pâte à la ferme. « Mes enfants, je ne les ai jamais forcés, mais ils voulaient tout le temps nous suivre », raconte celle qui ne se serait pas vue leur demander d’attendre 14 ans avant de venir travailler à ses côtés.


Pas avant la mi-mai

Le projet de loi 19 sur l’encadrement du travail des enfants devrait commencer l’étape de l’étude article par article autour de la mi-mai à la Commission de l’économie et du travail. C’est à ce moment qu’un amendement sur une exemption agricole pourra être déposé par les parlementaires. Les députés Alexandre Leduc, de Québec solidaire, et Madwa-Nika Cadet, du Parti libéral, se sont déjà montrés favorables à l’adoption d’un tel amendement.