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Vous n’avez pas à convaincre Alexandre Anctil de la réalité des changements climatiques. Le copropriétaire de la Ferme L’Abitibienne, spécialisée en production ovine, en constate les effets dans toutes les sphères de son exploitation.
« L’an dernier, j’ai semé de l’orge le 25 juin, ce qui est dangereusement tardif pour cette culture, raconte M. Anctil. Pourtant, la récolte a été fameuse! La belle saison s’étire maintenant; il n’est plus rare d’aller chercher une belle coupe à la fin octobre. » Pour le secteur ovin, les périodes de chaleur prolongées entraînent d’autres types de conséquences. « J’ai un bâtiment en ventilation naturelle, un dôme hyper fonctionnel en temps normal. Au plus fort de l’été, avec les épisodes de chaleur que nous connaissons maintenant, ce bâtiment où s’effectuent les saillies devient moins confortable. Les béliers soumis à une grande chaleur travaillent moins et les brebis risquent d’avoir des problèmes d’œstrus. Trois semaines très chaudes deviennent problématiques pour le processus reproductif », relate l’entrepreneur, qui envisage un investissement d’environ 20 000 $ pour un système de ventilation d’appoint.
Un bilan… perturbant
Chez ce technicien agricole sensible aux enjeux environnementaux, c’est le bilan GES qui a suscité le plus grand remous. « Je pensais sincèrement être un bon garçon à ce niveau. J’ai une entreprise qui produit 75 à 85 % de ses aliments sur des terres que je cultive dans une rotation respectueuse de l’environnement : quatre ou cinq ans de prairie, deux années de céréales, un travail réduit du sol. Je m’attendais à un bilan neutre ou léger. Mais je suis tombé en bas de ma chaise! » témoigne M Anctil, dont le bilan GES est de 480 tonnes d’équivalent CO₂.
De ce nombre, le tiers provient de la fermentation entérique produite par les animaux, suivie des émissions des sols et de la gestion des fumiers qui représentent respectivement 27 % et 14 % des émissions de la ferme et, contrairement à la croyance populaire, seulement 13 % est attribué aux énergies.
Pour ce qui est de la séquestration du carbone dans les sols, notons que la relative « jeunesse » de sa ferme complique l’obtention de données précises. « J’ai repris des terres abandonnées, certaines l’an dernier. Il faut plus de recul sur les échantillons pour déterminer ce qui se passe dans le sol. »
Une logistique repensée
Une fois le choc initial absorbé, l’entrepreneur est vite passé en mode solution. Première adaptation : tirer parti du climat. « On voit venir des étés avec des périodes de chaleur et de sécheresse plus intenses en juillet et août. Il faut que nos plantes soient bien levées dès le début juin. Il faut semer tôt, profiter de la fonte des neiges et de l’humidité résiduelle des sols qui persiste jusqu’en juin chez nous », observe-t-il, notant qu’une plante déjà pourvue d’un système racinaire développé en début juillet traversera mieux la sécheresse. Outre le semis hâtif, l’agriculteur fait du semis direct dans l’objectif de diminuer les pertes de matières organiques et réduit au maximum le travail du sol. « Je me suis aussi demandé : suis-je capable de produire davantage l’alimentation dont mon troupeau a besoin? Augmenter la protéine dans mes ensilages et mes grains réduirait mon utilisation de suppléments, un produit importé à la ferme qui pèse sur mon bilan », relate le producteur, qui fait des essais de mélanges de pois à sa culture d’orge habituelle pour augmenter le pourcentage de protéine de la récolte.
Déculpabiliser les agriculteurs
Mais pour ce père de quatre enfants très impliqué dans sa communauté, l’enjeu des changements climatiques incite à une réflexion plus large. « Je produis 70 000 kg de viande par année, et les sols que je cultive sont aujourd’hui en meilleure santé, plus productifs et plus fertiles que quand j’ai commencé il y a 23 ans », soutient l’agriculteur. « Je suis très heureux de participer à ce projet et je vais faire tout ce que je peux. Mais est-ce qu’on peut remettre en question d’autres secteurs d’activités humaines? » questionne M. Anctil, appelant à une perspective plus juste de la valeur de l’agriculture. « Il faut éviter que les agriculteurs en portent plus sur leurs épaules qu’ils n’ont déjà à le faire. On produit de la nourriture, une activité humaine assez essentielle, il me semble. On émettra toujours des GES. Il faut faire de notre mieux et travailler collectivement et individuellement à réduire notre empreinte carbone dans toutes les sphères de la société. »
FERME L’ABITIBIENNE | |
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Représentée par : | Alexandre Anctil |
Production : | Ovine |
Conseillère : | Caroline Dionne (Groupe Pousse-Vert) |
Partenaire régional Agriclimat : | Mylène Gagnon, Fédération de l’UPA du Bas-Saint-Laurent |
Qu’en dit la science ?
Au Québec, certains sols ont un court historique agricole. Ces sols contiennent des taux de matières organiques élevés, hérités du passé forestier. Puisque la quantité de carbone qui est retournée au sol est plus faible que ce qui est minéralisé chaque année, ces sols sont dans une dynamique de perte de carbone.
Ce texte a été publié dans le cadre d’un cahier spécial présenté par Agriclimat, paru dans La Terre de chez nous, le 26 avril 2023.