Élevage 14 juin 2011

Le bien-être animal et les poules pondeuses

 

Le dernier volet de notre grand dossier porte sur les tendances les plus récentesdans le bien-être des poules pondeuses. Nous vous présentons une série de vidéos illustrant ces nouvelles approches.

Un élevage conventionnel 

Un regard dans un poulailler conventionnel.
* Les images sont sombres, car les dispositifs d’éclairage étaient interdits.

 

Les cages enrichies 

Explications sur la cage enrichie et ses composantes.
* Les images sont sombres, car les dispositifs d’éclairage étaient interdits.

 

Des poules libres 

Les conditions de vie des poules dites en liberté présentent certains risques.
* Les images sont sombres, car les dispositifs d’éclairage étaient interdits.

Des poules libres 

La mortalité peut être plus élevée à cause de l’agressivité ou de la qualité de l’air.
* Les images sont sombres, car les dispositifs d’éclairage étaient interdits.

 

Pointé du doigt par des milliers de personnes, l’élevage des poules pondeuses en cage sera d’ailleurs banni l’an prochain dans tous les pays européens. Certains États américains emboîteront le pas à court terme. Plus près de nous, au Manitoba, les producteurs d’œufs se sont déjà engagés, pour 2018, à interdire les cages conventionnelles dans les nouveaux bâtiments et ceux qui seront rénovés. Ce puissant mouvement d’opposition n’est pas sans susciter des préoccupations grandissantes chez les producteurs du Québec, qui utilisent, pour la plupart, des cages traditionnelles. Que leur propose-t-on comme solutions de rechange? Les producteurs qui se sont pliés à ces nouvelles normes sont-ils satisfaits? C’est ce à quoi tenteront de répondre les lignes.

Les cages enrichies

L’utilisation des cages enrichies permet aux poules d’exprimer certains comportements naturels, tout en conservant une régie d’élevage très semblable à celle des cages conventionnelles. Pour ces raisons, cette alternative semble la plus populaire chez les producteurs. Le terme enrichi signifie que les poules trouvent à même leur cage un compartiment de nidification, une zone où elles peuvent gratter, ainsi que des perchoirs. « J’utilise des cages enrichies depuis l’automne, et je dois dire que le système comporte de nombreux points positifs, mentionne d’emblée Jean-Claude Paradis, un producteur d’œufs situé près de Drummondville. Comme il est dans la nature des poules de se percher, chaque soir, lorsque j’arrive, elles sont toutes sur les perchoirs. Le nid est également très populaire! J’estime que 95 % des poules vont y pondre à l’abri des regards. Les poules peuvent se déplacer dans la cage, et cette forme d’exercice diminuerait le taux de mortalité. Présentement, je suis capable de produire au même coût avec ce type d’équipement, et ce, sans m’occasionner un surplus de travail. »

M. Paradis devient sceptique au sujet du tapis installé dans le nid. Cet éleveur d’expérience a la conviction que les excréments laissés par les poules sur le tapis souilleront davantage d’œufs. Cette problématique, additionnée aux risques de contamination aux salmonelles, peuvent résulter en des conséquences négatives pour les consommateurs et les producteurs. L’aire de grattage est constituée d’un tapis à longs poils au-dessus duquel se trouve un tube qui y décharge une certaine quantité de grains. Les poules peuvent ainsi reproduire un comportement dit ancestral; celui de gratter et de picorer. Mais M. Paradis demeure critique face à ce dispositif. « Les poules picorent et grattent le tapis mais, comme je l’ai rapidement constaté, elles y déposent également leurs fientes et, inévitablement, elles les mangent en picorant. Cela augmente le risque de problèmes sanitaires et peut-être de salmonelloses. Or, depuis des années on nous pousse à améliorer nos pratiques de biosécurité. Installer un nouveau système où les poules mangent leurs excréments m’apparaît comme une incohérence majeure…»

Normes de densité et hausse des coûts

Au delà des contraintes techniques, la question qui préoccupe ce producteur du Centre-du-Québec concerne les futures normes de densité et les hausses du coût de production qu’elles entraînent. « L’Europe exige 750 cm2 par poule, tandis qu’ici, les normes sont actuellement de 465 cm2. Or, les Européens élèvent des poules brunes, plus grosses, qui pèsent environ 2,2 kg comparativement au 1,8 kg de nos poules blanches. De plus, cette densité moindre, combinée au climat du Québec, nous forcera à prévoir des coûts de production à la hausse. Nous devrons sûrement chauffer le bâtiment, ou à tout le moins augmenter les rations, car une poule qui vit dans des conditions plus froides consomme davantage. Ces particularités devront être considérées si notre industrie envisage d’adopter de nouvelles normes de densité. »

Les cages « enrichissables » font graduellement leur apparition en sol québécois. La raison en est simple : elles peuvent être configurées en mode enrichi aussi bien qu’en mode conventionnel. Chez M. Paradis, la cage en mode enrichi mesure 244 cm de large et 70 cm de profondeur, pour contenir 32 poules. Elle peut aussi être divisée à l’aide de séparateurs en quatre sections de 61 cm de large, où logent huit poules, élevées exactement comme dans des installations conventionnelles. Le nid, le tapis de grattage et les perchoirs sont amovibles. Pour l’instant, M. Paradis a laissé la majorité de ses cages « enrichissables » en mode conventionnel, mais il prévoit rénover un bâtiment l’automne prochain, qu’il configurera en cages enrichies.

De son côté, un producteur de l’Abitibi, Maurice Richard, prévoit installer ce système dès septembre prochain et il entend même respecter les normes d’espace européennes. « Notre système a 23 ans, et le bâtiment compte 38 cages. L’heure des rénovations ayant sonné, j’étais confronté au dilemme des infrastructures. J’ai conclu que la pression du bien-être animal ne pouvait aller qu’en s’intensifiant, explique le producteur. Avant d’arrêter mon choix, j’ai visité des installations européennes pendant deux ans. Le système enrichi m’est apparu la meilleure méthode, conciliant le bien-être des animaux et celui des travailleurs. Non seulement nous utiliserons la cage enrichie avec toutes ses composantes, mais nous appliquerons intégralement les normes européennes, avec les 750 cm2 conférés à chaque poule. » Cette décision implique des conséquences non négligeables pour cet éleveur, à commencer par la hauteur du nouveau bâtiment, qui sera doublée sans que la production ne le soit elle-même. En vérité, le nombre de poules ne passera que de 25 000 à 28 000. En outre, une somme importante devra être consentie à l’isolation du poulailler de même qu’à l’installation d’un plancher chauffant. « Je ne crois pas que les cages enrichies et l’espace supplémentaire entraîneront une hausse de productivité des poules. Chose certaine, chaque œuf devrait me coûter environ 15 % de plus à produire! Mais comme je fais ici ma propre mise en marché, je crois que je réussirai à obtenir davantage pour ces œufs », analyse M. Richard.

Une cage, même enrichie, demeure une cage

Le producteur de l’Abitibi se défend d’utiliser le mot « cage » et préfère employer le terme « système » enrichi. Pour lui, une cage sera toujours synonyme de prison pour le consommateur. Étrangement, Sayara Thurston, une militante contre la cruauté des animaux chez la Humane Society International, abonde dans le même sens : « Ça me fait peur de constater que les producteurs québécois prennent le virage des cages enrichies. Ce type d’équipement représente pour moi une mesure transitoire qui sera caduque dans dix ou quinze ans. Au bout du compte, les producteurs auront investi inutilement, car le seul système qui amène une vraie différence au sujet de leur bien-être est celui des poules en liberté. Pour nous, les cages enrichies demeurent des cages, et c’est une méthode inacceptable. »

Poules en liberté S.V.P.?

Certains consommateurs désiraient des œufs provenant de poules en liberté. Guidés par leur esprit avant-gardiste, quelques producteurs ont décidé de satisfaire à cette demande. Premier arrêt : les Fermes Burnbrae en Ontario. Il s’agit d’une production de masse, où les œufs, de même que les fientes, sont récupérés mécaniquement. Pas moins de 15 000 pondeuses y jacassent en liberté. Elles ont accès à un nid fermé où elles pondent sur un tapis à poils longs. Par gravité, l’œuf roule ensuite sur un convoyeur. Les oiseaux ont facilement accès aux mangeoires et aux abreuvoirs mécanisés qui font toute la longueur de ce bâtiment de 150 mètres. Les poules peuvent faire de l’exercice, socialiser, se percher et pondre dans un endroit isolé, bref avoir des comportements naturels. Il existe cependant quelques désavantages, comme le constate Fred Lozo, gérant de ferme. « Un système de poules en liberté demande plus de temps de main d’œuvre qu’un système de cages conventionnelles, je dirais le double. Au début, il faut apprendre aux poules à pondre dans le nid et non sur le grillage. Pour ce faire, nous marchons tout doucement en les dirigeants vers la zone de ponte. Ensuite, c’est la routine : isoler les animaux blessés, ramasser les œufs pondus sur le grillage et procéder au dépoussiérage quotidien des équipements. De fait, le niveau de poussière est quelque peu supérieur dans ce type d’élevage ». Le plancher en pente incite les poules à monter vers le nid. Si ce concept favorise le taux d’œufs récupérés automatiquement, il est moins apprécié des employés. « Les travailleurs circulent fréquemment sur le plancher en pente et doivent, de surcroît, enjamber les perchoirs et les systèmes d’alimentation, témoigne M. Lozo. Sans que le travail s’avère pénible pour eux, ils ne cachent pas préférer travailler dans nos installations de cages conventionnelles! »

Les contraintes de la liberté

En ce qui concerne la production, M. Lozo ajoute que les performances sont moindres qu’en cages. Les poules, en bougeant davantage, haussent leur consommation de nourriture d’environ 10 à 15 %. Il a également remarqué une augmentation de la mortalité de 1,5 %, laquelle est reliée à différentes causes telles que la compétition intragroupe, les blessures associées aux mouvements des oiseaux, etc. Finalement, il note que les poules pondent en moyenne dix œufs de moins par année.

Le bilan est sensiblement le même à Saint-Ours, en Montérégie, où se trouve une exploitation avicole maintes fois médiatisée pour ses pondeuses en liberté. « Les poules produisent environ une douzaine d’œufs de moins par année dans les installations en liberté, assure Serge Lefebvre, l’un des propriétaires. Bien que la compétition intra-espèce et le taux de mortalité soient variables d’un groupe à l’autre, il est généralement supérieur à celui des poules en cages. La qualité de l’air est également inférieure. Nous élevons 40 000 pondeuses en liberté vivant sur un plancher mi-latté, mi-litière. Les fientes se retrouvent un peu partout au sol, et quand les poules s’énervent, la poussière monte… » Serge Lefebvre possède également des poulaillers équipés de cages conventionnelles. À la question fatidique à savoir si les poules en liberté vivent dans un environnement de bien-être supérieur à celui des poules en cages, il se fait silencieux, puis répond : « Je ne suis pas convaincu! En cage, la poule est protégée, son environnement et ses soins sont contrôlés et elle bénéficie d’une qualité d’air exceptionnelle. En contrepartie, c’est vrai qu’elle est confinée. En liberté, elle peut bouger à sa guise, mais il y a des confrontations hiérarchiques et des blessures en résultent. L’air moins sain est un inconvénient pour les travailleurs, mais également pour les poules : elles ont des poumons et des yeux comme nous. Une poule malade ou aux prises avec des parasites voit forcément son niveau de bien-être diminuer. Or, en Europe, avec la construction de nombreux systèmes de poules en liberté, nous voyons réapparaître des maladies et des parasites que nous n’avions plus en cage… En d’autres mots, chaque type de production a ses pours et ses contres. J’ai beaucoup d’intérêt dans l’élevage de poules en liberté, et je ne suis évidemment pas contre, mais personnellement, je préfère les cages. »

La croisée des chemins

Plusieurs producteurs devant rénover ou aménager un nouveau bâtiment font face à une décision importante : cages conventionnelles, enrichies ou poules en liberté? L’un des premiers critères concerne la rentabilité. Vincent Guyonnet, vétérinaire et vice-président recherche et développement aux Fermes Burnbrae, estime les coûts de production de 10 à 18 % plus élevés pour les œufs produits en cages enrichies, et de 30 à 40 % supérieurs pour les œufs de poules en liberté. Cela dit, la variable la plus déterminante devient alors la demande. À l’heure actuelle, le consommateur québécois moyen ne semble pas intéressé à absorber ces coûts de production supplémentaires. Sauf que la pression populaire contre la cage conventionnelle s’accentue aussi bien au Canada qu’ailleurs dans le monde. Face à cet imbroglio, voici ce que conseillent deux joueurs majeurs de la distribution d’œufs :

« Plusieurs producteurs désirent déjà s’orienter vers des élevages de poules en liberté ou même bio, mais nous leur disons d’attendre, et ce, tant et aussi longtemps que les consommateurs n’augmenteront pas leurs achats de ces produits. Actuellement, le risque est trop élevé de se lancer dans des volumes qui ne se vendront pas. À ceux qui aménagent ou réaménagent des bâtiments, nous conseillons l’utilisation des cages enrichies. Mais à moins qu’une loi n’oblige ce type d’élevage, nous n’en ferons pas une spécialité », affirme M. Desselle, dont l’entreprise, Nutri-Œuf, distribue annuellement 1,1 milliard d’œufs.

Également dans ce club des milliardaires d’œufs distribués, les Fermes Burnbrae déploieront une stratégie de production grandement influencée par les données provenant de leur voisin du Sud. C’est ce que nous confie Craig Hunter, vice-président exécutif aux opérations. « Un projet de recherche de grande envergure vient de démarrer aux États-Unis afin de déterminer quelle sera la bonne façon de produire des œufs. Financée par des intérêts privés et publiques, cette étude durera trois ans et analysera 50 000 poules élevées en cages, 50 000 poules élevées en cages enrichies et 50 000 poules élevées en volière. Très attendus, ces résultats pourraient trancher le débat. » Mais son collègue, Vincent Guyonnet, vétérinaire de formation, ajoute que ce n’est pas le type d’installation qui assure le bien-être des poules. « Le plus gros facteur influençant la qualité de vie des animaux d’élevage, c’est nous, les humains. L’absence de soin, une qualité d’air, d’eau et de nourriture inadéquate, des gestes brusques, une manipulation inappropriée ou des installations pouvant blesser l’animal agissent directement sur le bien-être des pondeuses. En d’autres mots, un éleveur attentionné sera en mesure d’offrir de très bonnes conditions à ses poules, que ces dernières soient en cages ou en liberté. »

Une guerre à finir contre les groupes de pression?

L’ambiance entre les groupes de pression et les producteurs agricoles peut paraître hostile, prenant même l’apparence d’une guerre à finir. Mais précisons qu’il n’y a justement pas de guerre. L’activiste Sayara Thurston soutient ne pas être négative à l’endroit des producteurs avicoles, voulant coopérer avec eux et les aider à s’orienter vers des systèmes sans cages. Pour leur part, les différents regroupements de producteurs d’œufs de consommation disent respecter et prendre en considération les arguments des groupes de pression. Si l’ambiance n’est pas hostile, il n’en reste pas moins que deux visions s’affrontent.

D’un côté les systèmes de poules en liberté comportent des désavantages de production et certaines incohérences, de l’autre, les groupes de pressions veulent faire bannir les cages conventionnelles et qualifient d’imposture les cages enrichies. Qui aura le dernier mot? « Il y a un décalage entre ce que les groupes de pression revendiquent au nom de la population et ce que la population désire réellement, précise Daniel-Mercier Gouin, professeur et directeur du département d’économie agroalimentaire à l’Université Laval. L’apparition des cages enrichies ne fera pas cesser le débat mené par les activistes. D’autre part, passer immédiatement aux poules en liberté ne constitue peut-être pas la solution idéale, car l’histoire a démontré qu’il y a un risque à prendre les devants sur une réglementation. Mais au bout du compte, le dernier mot, c’est le consommateur qui l’aura. C’est lui que les producteurs doivent écouter. »

Oeufs : des normes européennes au Canada dès cet automne?

À Ottawa, plus précisément au bureau des Producteurs d’œufs du Canada, se trame la mise au point d’une certification visant les systèmes alternatifs aux cages conventionnelles. Rien n’est encore officiel, mais dès cet automne, les producteurs qui possèdent des cages enrichies et qui souhaiteraient obtenir une attestation de conformité pourraient le faire en respectant certaines normes. Celles-ci consistent en un perchoir, un nid, un bac à sable ou un système de grattage, et une surface de 750 cm2 par poule… Des exigences qui s’apparentent drôlement aux normes européennes! Ladite certification viserait à caractériser la production en cages enrichies, dans le but d’obtenir une certaine uniformité entre les producteurs. Ceux-ci seraient ensuite audités par Les Producteurs d’œufs du Canada.

Les dommages collatéraux du bien-être animal

Denis Frenette est directeur de la production et de la recherche à la Fédération des producteurs d’œufs de consommation du Québec. Il a amorcé une analyse des impacts environnementaux associés aux élevages de poules à plus faible densité. « Lorsqu’une poule fait plus de mouvements, comme c’est le cas dans les installations de poules en liberté, elle consomme davantage de nourriture. Une quantité de grains accrue implique de cultiver plus de terre, avec la combustion de carburant et l’utilisation d’intrants supplémentaires qui y sont associés. Le plus grand volume d’excréments exige une manipulation et un épandage avec de la machinerie produisant des gaz à effet de serre. Pour abriter le même nombre d’oiseaux, les bâtiments doivent être plus grands. Leur construction nécessite des matériaux additionnels, sans compter que dans certains cas, l’hiver, il faut les chauffer avec de l’énergie fossile. Bref, une densité de poules plus faible engendre certaines conséquences environnementales qui, sans être catastrophiques, doivent être évaluées. Nous procéderons donc à des analyses nous permettant de dire aux consommateurs : voici l’empreinte écologique si vous choisissez tel ou tel type de production. » Aux Fermes Burnbrae, des interrogations semblables rendent Craig Hunter perplexe. Leur installation de poules en liberté, mesurant 150 m de longueur, renferme 15 000 poules, alors que la même longueur de poulailler, équipée de cages conventionnelles, en contient 50 000. « Comparativement à il y a 50 ans, nous produisons plus que le double de nourriture avec la même superficie. Si nous retournons à des méthodes d’élevage d’antan, il faudra davantage de bâtiments et davantage de terres en culture pour nourrir la population actuelle. Cela impliquera la déforestation et la disparition d’habitats fauniques. Enlever de l’espace à la faune pour en donner plus aux animaux d’élevage, est-ce vraiment mieux? »

Le consommateur finira-t-il par craquer?

Les producteurs d’œufs sont à la merci des consommateurs. Si ces derniers décident de bannir les d’œufs produits en cage, les producteurs devront s’y conformer et changer l’équipement de leurs poulaillers. Est-ce que le marché est prêt à craquer pour les œufs pondus en liberté? « Lorsque nous effectuons des sondages auprès de la clientèle, la majorité des gens se disent en faveur des élevages où les poules sont en liberté. Certains se disent même prêts à payer plus pour des œufs provenant de ce type d’élevage, affirme Richard Desselle, directeur chez Nutri-Œuf. Mais une fois devant les tablettes du supermarché, la majorité des consommateurs se ravisent et choisissent plutôt les œufs en fonction du prix… » M. Desselle fait remarquer que parmi les acheteurs qui sont prêts à payer davantage, la plupart pensent premièrement à leur santé plutôt qu’à celle des poules! À preuve, il souligne que les œufs à forte teneur en oméga-3, même s’ils se détaillent plus cher que les œufs ordinaires, représentent des ventes intéressantes au Québec, soit environ 10 % de son volume. À l’inverse, les œufs de poules en liberté, offerts pour environ un dollar de plus la douzaine que les œufs oméga-3, représentent à peine 0,3 % de son volume vendu au Québec. « La valeur nutritive d’un œuf provenant d’une poule en liberté ou en cage est la même. Comme il n’y pas de bénéfice alimentaire, ce produit demeure difficile à vendre, notamment au Québec », de résumer M. Desselle.

De fait, il semble que le consommateur québécois tire de l’arrière en ce qui concerne les tendances canadiennes, voire mondiales. En Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario, les ventes d’œufs provenant d’élevages biologiques ou de poules en liberté sont non seulement en hausse, mais elles représentent désormais un marché important. En d’autres mots, les producteurs doivent-ils anticiper l’éveil des consommateurs du Québec? « Nous travaillons sur un programme qui incite les villes, les entreprises et les écoles à changer leurs habitudes de consommation d’œufs. Plusieurs ont emboîté le pas, comme l’Université Concordia à Montréal, où les services de cafétéria n’utilisent que des œufs provenant de poules en liberté. Les grandes compagnies pourraient également accélérer le changement. Burger King, Hellmann’s, Loblaws (par le biais de sa marque le Choix du Président), ont déjà annoncé des politiques favorisant l’achat d’œufs pondus en liberté », fait remarquer Sayara Thurston. Une méthode d’affichage plus claire dans les supermarchés pourrait également s’avérer salutaire. « Présentement, le consommateur québécois manque d’information. Par exemple, une réglementation adoptée en Australie oblige les commerçants à identifier directement sur le carton d’œufs le type d’élevage d’où ils proviennent. De plus, une affiche explique brièvement les différences entre poules en cage, poules en liberté à l’intérieur et poules en liberté à l’extérieur. Un marchand mentionnait que depuis l’entrée en vigueur de cette politique d’affichage, les ventes d’œufs provenant de poules en cages ont chuté de plus de 50 % et celles d’œufs pondus en liberté ont grimpé de 90 %. »

Le cauchemar allemand

Serge Lefebvre est un producteur qui suit également de près tout ce qui concerne la production d’œufs sur la scène nationale et internationale. Son poste de deuxième vice-président de la Fédération des producteurs d’œufs de consommation du Québec n’y est pas étranger. « Avant de s’imposer un type de production, il faudra s’assurer que le consommateur en veuille réellement. Car tout n’est pas rose en Europe, notamment en Allemagne, où plusieurs producteurs ont fait banqueroute à la suite des réglementations qui leur ont été imposées. De fait, une réglementation a tout d’abord banni les cages conventionnelles. Après s’être équipés de cages enrichies, plusieurs ont vu un autre règlement les obliger à passer à un système de poules en liberté. Mais le gros problème fut le suivant : les consommateurs allemands préféraient acheter de pays voisins des œufs moins chers provenant d’élevage en cages… » Non seulement les producteurs allemands ne vendaient plus d’œufs, mais ils devaient rembourser leurs achats d’équipement. Plusieurs ont cessé leurs opérations, portant à la baisse la production d’œufs du pays. Ironiquement, dans la chronique de Jean-Charles Gagné, parue dans La Terre de chez nous en 2010, nous pouvions lire que l’Allemagne a dû importer cinq milliard d’œufs, faute d’une production nationale insuffisante…