Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Un rêve agronomique un peu fou : celui de vacciner ses plantes afin de les immuniser contre les ravageurs, tout en augmentant leurs performances avec des biostimulants. Après quelques années d’essais, il semble que le concept soit enfin fonctionnel. Même sans seringue!
On les appelle biostimulants. Il s’agit d’un groupe de produits qui accroît le rendement des plantes en stimulant leur système de défense. Les effets bénéfiques transcendent la simple autoprotection puisque certains biostimulants permettent aux plantes de mieux absorber les nutriments, de majorer le processus de photosynthèse, etc.
La révolution
L’industrie des biostimulants se trouve en pleine effervescence. L’Europe a indirectement ouvert le marché en imposant un système réglementaire de plus en plus contraignant pour l’application de pesticides chimiques. Des entreprises d’outre-mer ont conçu de nombreux bioproduits et investissent toujours massivement en recherche et développement. Le Québec est également dans le coup. Comme résultat, une panoplie de biostimulants atteignent les tablettes, certains à base de bactéries, d’extraits d’algues, d’acides aminés ou de microorganismes. Ce buffet de biotechnologies profite autant aux fermes sous régie biologique que celles sous régie conventionnelle. À vrai dire, si la science « verte » peut aider les producteurs conventionnels à accroître leurs rendements et la qualité de leurs récoltes, ils sont preneurs. « Ce n’est qu’un début, déclare avec engouement Liette Lambert, agronome au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). « Les agriculteurs testent présentement des produits. Il reste à peaufiner les techniques d’application, de même que l’intégration des biostimulants à d’autres produits, mais chose certaine, on s’en va vers ça. Les biostimulants, ce sera une révolution », prédit-elle.
L’effet vaccin
Les biostimulants se distinguent les uns des autres par des modes d’action différents. Cependant, la plupart partagent ce point commun de déclencher chez la plante un mécanisme de protection naturelle, comparable à l’effet d’un vaccin. « Avec le biostimulant, c’est comme si la plante se disait : “Oups! un ennemi m’attaque. Je vais déployer différents moyens de défense [comme épaissir la paroi cellulaire des racines]”. Ainsi préparée, elle devient en meilleure posture pour surmonter une vraie attaque », schématise Mme Lambert. Or, certains biostimulants vont au-delà de l’effet vaccin; ils possèdent de réelles propriétés antifongiques, homologuées comme telles ou non. C’est justement le cas du produit Microflora Pro, conçu à Trois-Rivières par la compagnie Abnatura. Ce biostimulant à base de bactéries est officiellement homologué comme supplément, mais plusieurs agriculteurs l’achètent pour ses vertus antifongiques, car les bactéries, inoffensives pour l’humain, produisent des molécules antifongiques et stimulent le système immunitaire de la plante. Les bactéries ont également pour mission de doper le processus de photosynthèse. « Les bactéries se fixent aux racines et développent des hormones végétales qui vont promouvoir la masse racinaire. Il en résulte une meilleure absorption des phosphates et des oligoéléments, qui accroît, entre autres, la photosynthèse, et donc, le rendement de la plante », détaille Jean-Marc Juteau, un microbiologise issu du monde pharmaceutique, maintenant copropriétaire de la compagnie.
Selon leurs essais au champ, les bactéries généreraient des gains de rendement de 3 % dans le soya, de 4 % pour les tomates et de 10 % dans les cultures de fraises et de concombres. Le chercheur souligne qu’il ne s’agit que du commencement. « Nous travaillons avec deux souches, mais plusieurs autres bactéries n’attendent qu’à aider les agriculteurs! Bientôt, nous disposerons de bactéries spécifiquement adaptées aux besoins des cultures de blé, de riz, etc. », atteste-t-il fièrement. Pour ceux qui s’interrogent au sujet du prix, le produit coûte environ 12 $ l’hectare pour les superficies en céréales et 125 $ l’hectare pour les cultures maraîchères.
Un agent de croissance
La gamme de biostimulants s’avérant très large, certains possèdent moins d’effets antifongiques, mais se spécialisent davantage comme agents de croissance et de résistance aux stress hydriques. C’est le cas, notamment, d’un autre produit québécois, l’Asco-Root. Ce dernier est présenté comme un engrais à libération lente fabriqué à partir d’extraits d’algues. « Les algues, en raison de leur milieu de vie hostile [voir encadré Les algues du Québec : les meilleures au monde?], ont développé des mécanismes d’adaptation extraordinaires. On extrait donc les molécules actives à l’origine de ces mécanismes d’adaptation pour ensuite les transposer aux plantes terrestres en culture », explique le copropriétaire d’OrganicOcean, Martin Poirier. Plus précisément, les promoteurs de croissance tirés des algues et appliqués aux plantes amplifieraient leur capacité photosynthétique et maximiseraient leur développement racinaire. Les extraits d’algues ont aussi la tâche de contrer le stress hydrique des plantes en leur permettant de mieux gérer leur équilibre cellulaire en eau. Selon les tests réalisés en Montérégie Ouest par un organisme neutre, Phytodata inc., le produit occasionnerait des hausses de rendement de l’ordre de 7,5 % dans la pomme de terre pour une seule année de test, en 2013. Des essais dans les cultures maraîchères et de maïs seraient présentement menés par La Coop fédérée.
Parlant de la Coop, ce géant de la commercialisation d’intrants au Québec évalue également d’autres biostimulants, comme le Megafol, un acide aminé végétal, qui diminuerait les pertes de croissance lors de stress hydriques. « Avant de mettre un produit en marché, nous devons nous assurer qu’il apporte réellement un avantage économique au producteur. Alors, nous menons des essais à notre ferme de recherche, mais aussi au champ, chez des producteurs », a signifié Christine Bourbonnais, conseillère en protection des cultures et engrais spécialisés, à La Coop fédérée.
Cette ferme maraîchère essaie différents biostimulants depuis cinq ans et continuera de le faire. « Nous sommes des chefs d’entreprise. Si ce n’était pas économiquement viable les biostimulants, on ne le ferait pas. On veut innover et continuer de s’améliorer. Or, en plus de l’augmentation des rendements, les biostimulants pourraient nous donner un avantage compétitif, en permettant de réduire davantage nos doses de pesticides. Cet aspect est important pour nous et pour l’entreprise, car on ne connaît pas le futur », indique M. Guérin, conscient que les consommateurs de demain pourraient être encore plus chatouilleux relativement à l’utilisation des produits chimiques à la ferme.Et ça fonctionne?
Sur le terrain, certains producteurs obtiennent de bons résultats avec les biostimulants. D’autres non. De fait, il faut comprendre que les biostimulants agissent moins rapidement que les pesticides de synthèse. L’agriculteur doit observer ses plantes et appliquer le produit stratégiquement, souvent en prévention plutôt qu’en mode curatif; un réflexe différent. De plus, ils détiennent essentiellement ce rôle d’aider la plante à maintenir sa croissance lorsqu’elle est soumise à un stress tel que sécheresse, attaque de ravageurs, accumulation d’eau, etc. En d’autres mots, quand il n’y a pas de ravageurs et que les conditions de croissance sont bonnes, l’utilisation de biostimulants ne générera pas, en règle générale, de rendements supplémentaires. « Ça, c’est vrai. Si nous traversons une année de météo parfaite, les biostimulants exerceront peu d’influence. Mais une année parfaite, ça arrive quand? » ajoute aussitôt Jean-Claude Guérin, copropriétaire de Maraîchers JPL Guerin & Fils, une ferme du sud de Montréal. Cette entreprise cultive 200 hectares de laitue et les biostimulants sont presque partout sauf… dans les parcelles témoins, évidemment! « Dans la laitue, les biostimulants procurent globalement plus de rendement. Pour les carottes, nous disposons d’une quarantaine d’hectares et le calibre est habituellement plus gros, le feuillage, plus vert et à l’emballage, on dénombre moins de rejets. Les oignons? Selon nos chiffres, c’est 5 à 10 % plus de boîtes à l’hectare. Ce n’est pas partout, ni tout le temps, mais en général, le rendement est meilleur avec les biostimulants », évalue-t-il.
Des producteurs « biostimulés »
Les biostimulants sont entrés dans la vaste arène agricole. Des productions en serre et maraîchères les ont adoptés, et les producteurs de grandes cultures – un marché énorme – s’y intéressent. Sauf que les augmentations de rendement dans les cultures de blé, de soya et de maïs ne semblent pas assez significatives pour dicter une utilisation systématique des biostimulants.
D’autres essais en champs devront être réalisés afin de valider les performances des produits, de même que les bonnes méthodes d’application. En définitive, l’étendue du succès des biostimulants dépendra simplement de celui des agriculteurs, et surtout, des profits qu’ils tireront de leur utilisation. La grande question : est-ce que les biostimulants performeront uniquement chez les producteurs méticuleux qui connaissent précisément les besoins de leurs plantes ou profiteront-ils également à la masse? Manifestement, l’engouement est palpable sur le terrain; plusieurs agriculteurs parlent de ces produits avec passion : ils sont visiblement… « biostimulés »!
Article complémentaire :
Les algues du Québec : les meilleurs au monde? en ligne le mercredi 4 juin 2014