Actualités 2 octobre 2014

Le Patenteux du mois de mars – L’homme qui entendait chuchoter les arbres

PatenteuxMars2011

Par Michel Beaunoyer – Notre patenteux du mois, Martin Côté, est entouré de bois. Il vit au cœur de la forêt mixte de l’Estrie, dans une maison pièce sur pièce construite de ses mains avec les arbres extraits de ses lots. De plus, cette forêt est son gagne-pain; surtout maintenant en tant qu’acériculteur, mais aussi à titre de forestier. Ses découvertes et les innovations qu’il en tire proviennent donc de ses arbres, qu’il semble en mesure d’entendre chuchoter.

Entrepreneur forestier depuis l’âge de 23 ans, Martin a aussi depuis pris la relève de l’érablière paternelle. La forêt, c’est sa vie. Après avoir subi une blessure au genou il y a trois ans, un accident qui l’a confiné à la maison durant de longs mois, il a dû délaisser le secteur forestier pour se concentrer sur les techniques acéricoles. « Cette période de calme obligée a été bénéfique dans le sens où elle m’a permis de réfléchir et de réaliser plusieurs découvertes dans le domaine acéricole. Ceci étant dit, j’ai bien l’intention de retourner couper du bois dès l’été prochain. » De toute évidence, ce n’est pas dans la nature de cet homme très actif de rester sur place bien longtemps.

Il nous entraîne d’ailleurs vers son garage où il a mis en place, à notre profit, une table de démonstration. Pour Martin Côté, les concepts théoriques s’imbriquent constamment avec les projets plus concrets. Par exemple, l’acériculteur est un précurseur du sirop d’automne. Il a procédé à des essais dès 1978 pour les reprendre 20 ans plus tard. L’entaillage s’est fait dans une période où régnait un surplus de production, ce qui a remis en question l’opération. Toutefois, ces circonstances n’ont pas découragé cet homme en constante réflexion. « J’ai étudié un phénomène très intéressant, enchaîne-t-il. Il semble exister un lien direct entre le passage des ouragans sur la côte Est du continent et l’apparition de coulées d’automne dans mon érablière. » Selon sa théorie, le passage des relents de tempêtes tropicales ferait grimper le thermomètre de quelques degrés, ce qui provoquerait une montée de sève. Ainsi, plus la saison des ouragans dans l’Atlantique accuse de la violence, meilleure est la coulée d’automne. Notre patenteux explique avoir tiré une livre de sirop à l’entaille durant l’automne 2008. Un sirop qu’il a dû, selon les règles actuelles, commercialiser le printemps suivant. Selon lui, il demeure certain qu’il existe un potentiel commercial pour une récolte d’automne.

Les efforts de recherche et de développement de Martin Côté ont aussi porté sur les équipements de récolte et de production. Constatant qu’un chalumeau noir se réchauffait trop rapidement au printemps, montant en température avant même que l’arbre ne s’éveille, il en a développé une cheville translucide dotée d’un anneau d’étanchéité. Cet appareil est conçu de telle façon qu’il réduit le cloisonnement, permettant, selon les dires du patenteux, un gain de production de 10 à 33 % par entaille. Auparavant, il avait investi un paquet d’argent dans la mise au point d’un chalumeau doté d’une valve. Mais à l’usage, il s’est trouvé dans l’obligation de constater que cette dernière s’obstruait par le bran de scie de l’entaillage.

Il a aussi trouvé un distributeur pour un adaptateur jetable, également en polycarbonate translucide de qualité alimentaire. C’est en discutant avec les membres de son regroupement GAMA qu’il a amélioré son idée de base, arrivant à cet accessoire capable de s’adapter aux chalumeaux existants. Toujours selon lui, la qualité de ce chalumeau serait l’un des facteurs expliquant l’obtention, en automne, d’un sirop au goût prononcé d’érable.

Le patenteux a aussi mis au point une pince permettant de retirer les conduites des chalumeaux sans abîmer ces derniers. Il explique que cet outil est particulièrement pratique pour réparer les conduites attaquées par les écureuils.

 

Une bouilleuse à l’orange

On peut se gratter la tête de perplexité face aux découvertes de ce patenteux, mais chose certaine, il n’y a pas de limite aux capacités inventives de Martin Côté. À preuve, en 2004 il convertit sa bouilleuse de façon à pouvoir l’approvisionner à l’huile d’orange, un sous-produit non valorisé provenant d’une usine de l’endroit. Ce combustible pour le moins exotique, dégagerait une fois et demie la chaleur du mazout. Certes, il a fallu investir quelques dollars dans la conversion des pompes, des conduites et du brûleur. Cette adaptation aura demandé trois ans de travail. Maintenant, le système est bien rodé. « Il n’y a pas d’émanations quand je bous, explique l’acériculteur. Il ne se dégage de la cabane qu’une douce odeur d’orange sucrée à l’érable. »

L’érablière compte 26 600 entailles. Pour garder le réseau en condition ou pour préparer la nouvelle saison, le patenteux doit emprunter sept kilomètres de chemins forestiers. Pour se protéger du froid, il a construit ce qu’il appelle sa « papemobile ». Il s’agit en fait d’un VTT entouré de panneaux de fibre de verre, qui coupent le vent et protège l’opérateur.

Se construire son monde

Avec son accès à la ressource, il était tout naturel que Martin Côté décide de construire sa maison en bois rond provenant de sa propre forêt. Mais auparavant, il s’est fait la main, construisant son chalet au bord d’un lac à quelques minutes de chez lui. Avec des amis, il a dessiné un plan de base et improvisé le reste. Le bois de cèdre et l’épinette jaune ont été transformés en pièces d’un immense jeu de construction. Le résultat, qui a nécessité cinq ans de temps libres, est de toute beauté; un mélange de chaleur et d’élégance. Mais, comme l’avoue notre patenteux, la construction a révélé deux lacunes majeures à ce type d’habitation : une insuffisance d’isolation et un manque d’étanchéité. « Nous avons eu des mouches, des mouches en quantités, et des armées de coccinelles, » relate l’autoconstructeur avec un sourire.

Ces erreurs de conception ont été évitées lors de l’exécution du chantier de la maison, entrepris subséquemment. Ainsi, en plus des pièces de bois de six pouces de large, une couche d’isolation a été installée à l’intérieur, puis couverte d’un mur de planches. Non seulement on assurait ainsi un excellent facteur énergétique à la maison, mais le patenteux interdisait par le fait même l’accès à sa propriété à tous les insectes indésirables. Le toit a été isolé par une couche de six pouces d’uréthane. En fait, lors de notre passage, le thermomètre grelottait à -30 Celsius, alors qu’il faisait merveilleusement bon entre les murs de cèdre.

Une particularité de la finition intérieure est que le patenteux a utilisé, pour les poteaux des rampes, des branches déformées par des excroissances, ce qui confère à l’ensemble un look un peu surréaliste.

Une fois lancé dans la construction selon cette méthode, Martin Côté a profité de l’organisation des fêtes du village de Stratford en 2007 pour construire un char allégorique sur lequel trônait une reproduction de l’école de rang, construite, comme on l’a deviné, pièce sur pièce. Des photos d’époque ont guidé la patenteux dans sa reproduction. Et pour parfaire le tout, une enseignante maintenant âgée de 86 ans ayant contribué à l’éducation de la belle jeunesse locale, était de la partie.

D’autres projets en tête

La température extrêmement froide a réduit au minimum les excursions à l’extérieur, lors de notre visite chez ce patenteux estrien. En forêt, nous avons à peine pu apercevoir l’abatteuse multifonctions   à laquelle M. Côté a greffé une tête permettant d’arracher les souches. Nous devons le croire sur parole quand il nous en vante le fonctionnement, puisque les conditions météo lui interdisaient même le rêve de faire démarrer le mastodonte en hibernation profonde.

Au passage, on observe la récupération de boîtes de camions de livraison pour abriter les stations de pompage de l’érablière. Une solution plus économique que la construction en dur. Dans la voiture, Martin Côté nous explique comment, dans sa récolte, il se préoccupe aussi de valoriser tout le potentiel forestier en mettant de côté ce qui servira à la production d’huile essentielle, que ce soit le sapin, le cèdre ou encore l’épinette.

Dans ses idées et ses réalisations, devant l’ordinateur où il compile les tracées d’ouragans ou dans la forêt où il nous montre son abatteuse modifiée, Martin Côté est un homme qui bouge constamment. Patenteux des concepts tout comme bricoleur d’équipements, il nous annonce préparer un grand coup : son projet énergétique « Atlantide », du nom du mythique continent perdu. Un projet pour lequel il prépare une demande de subvention de trois millions de dollars et qui vise à faire du Canada, « la plus grande force biologique du monde ». Devant un énoncé aussi sibyllin, on a de choix que d’attendre la suite.