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Une leçon de courage
Élevé sur la ferme familiale à saint-Paul-d’abbotsford, Yves forand a toujours été passionné par la machinerie lourde. Tout en gardant un lien avec les opérations à la ferme, il a déniché un emploi d’opérateur de machinerie lourde dans une carrière voisine. « ma passion, c’était l’équipement lourd. l’agriculture constituait plutôt mon passe-temps », résume-t-il. un accident de moto, en 2007, allait tout faire basculer.
La ferme où a grandi M. Forand couvre environ 25 hectares. On y a élevé longtemps un troupeau de génétique avancée de race Limousin, lequel a été vendu depuis. C’est probablement parce qu’il était entouré de machinerie agricole que le jeune Yves a eu la piqûre pour la mécanique. Mais le tracteur de ferme n’était pas de la bonne taille, et c’est donc vers les bulldozers et les pelles mécaniques qu’il s’est tourné.
En revenant du travail, un soir d’été, une perte de contrôle de sa moto l’a entraîné dans le fossé, dans une courbe, à L’Ange-Gardien. Un moment figé dans le temps. Il se rappelle la longue glissade, puis le choc. La vitesse n’était pourtant pas élevée, estime-t-il. C’est plutôt sa monture lui retombant dessus, qui lui a causé ses blessures : une vertèbre cervicale brisée, lui compressant la moelle épinière et entraînant la paralysie des jambes.
On peut difficilement imaginer ce qu’ont pu constituer les 32 longs mois suivants, passés dans un centre de réadaptation. Une douleur physique, mais surtout, une profonde blessure morale. Malgré cette épreuve, Yves Forand a toujours conservé le rêve de redevenir opérateur de machinerie lourde. Un objectif qui a dû jouer un rôle de phare dans ses périodes les plus sombres.
Mais allons de l’avant et, à l’instar de notre patenteux, tirons du positif de cette déplorable situation. « Au lieu de m’apitoyer sur mon sort et de m’attrister de tout ce que je n’arrivais plus à faire, j’ai voulu au contraire pousser mes capacités à leurs limites, et déterminer ce que je pouvais encore faire. » Le patenteux a alors pris le relais du convalescent.
« Durant mon rétablissement, et même une fois de retour à la maison, je disposais de beaucoup de temps pour penser. Il était hors de question que je reste inactif bien longtemps. »
Yves Forand avait construit sa maison de ses propres mains. Sans savoir que cela lui serait bien utile plus tard, le bricoleur avait misé sur les grands espaces intérieurs. La maison ne nécessitait pas beaucoup de modifications pour s’adapter à sa nouvelle condition, exigeant un déplacement en fauteuil roulant. Le seul ajout majeur à la maison existante constitue un ascenseur, permettant d’accéder au plancher principal.
La tête quoi travaille
De retour à la maison, Yves Forand a regardé ses proches et amis effectuer la récolte de foin sur les terres environnantes. Pour lui, ce fut l’élément déclencheur. Malgré les meilleures intentions du monde, pas question de laisser les autres exécuter les coupes de foin sur les terres familiales. Pour certains, passer du fauteuil roulant au siège du tracteur serait plus facile à concevoir qu’à faire. Mais ce serait sans compter sur l’esprit ingénieux de notre mordu de machinerie. Si les jambes ne veulent pas collaborer, les neurones, eux, réalisent des heures supplémentaires.
« Je voulais un système de levée me permettant de passer de mon fauteuil roulant au tracteur, puis du tracteur à ma pelle hydraulique », résume notre patenteux. La solution s’avère fonctionnelle, mais très complexe. Il s’agit d’un lèvepersonne constitué d’un siège porté par un bras télescopique, monté sur le côté du tracteur. Un moteur électrique active une pompe hydraulique autonome à faible débit. L’objectif de notre patenteux consistait à concevoir un appareil puissant, mais d’une grande précision. Il fallait impérativement que ce soit sécuritaire. C’est lui, après tout, qui allait se balancer dans le vide, assis sur ce siège mobile.
« Mon ami Jocelyn Gagné m’a donné un précieux coup de main, témoigne M. Forand. Nous partagions les mêmes idées, et ce fut un plaisir de travailler ensemble à ce projet. » Soulignons que notre patenteux a modifié son atelier afin d’être en mesure de réaliser le plus d’assemblages possible. Il a, par exemple, mis son poste de soudure sur roulettes, lui permettant de le traîner où il en a besoin. Mais, de son propre aveu, il lui aurait été bien ardu de mener ce projet à terme sans l’aide de Jocelyn.
Entre l’idée et la réalisation de cette merveille d’ingénierie, il s’est écoulé deux ans. Il faut comprendre que le système, qui pèse 300 livres, repose sur trois circuits hydrauliques permettant au bras de se déplacer sur trois axes. « Après quelques ajustements, le prototype est devenu la version finale », déclare non sans une certaine fierté notre patenteux. Il a investi, outre son temps et celui de son bon ami, près de 17 000 $ dans cette machine.
Un cadeau pour Noël
Le 23 décembre dernier, tout juste à temps pour Noël, Yves Forand prenait possession d’un tracteur sur lequel il allait installer son système. De cette base, il pourrait ensuite se déplacer et passer d’une machine à une autre. La manoeuvre prend quelques minutes, mais notre patenteux déclare qu’avec davantage d’entraînement, il pourra le faire plus rapidement. Précisons que le contrôle du bras télescopique s’effectue grâce à une unité sans fil, accrochée dans le cou de notre patenteux. Il a d’ailleurs toujours un téléphone cellulaire à portée de main, pour plus de sécurité. En cas de panne, il ne veut pas rester suspendu dans le vide…
Le tracteur qu’il s’est offert en guise de cadeau de Noël répond à ses besoins particuliers. « Ce n’est pas un tracteur neuf, je n’en avais pas les moyens, mais c’est une bonne machine et, pour moi, c’était surtout l’article idéal. » Plus précisément, M. Forand a opté pour un John Deere 6420 de 100 forces, équipé d’une transmission IVT. Tous les contrôles sont situés à portée de main, que ce soit pour ajuster la vitesse du tracteur, ou encore, manipuler les équipements attachés. Son système de lève-personne ne nuit pas aux opérations; il dépasse du tracteur d’une largeur équivalente à celle que représentaient des roues doubles, nous spécifie le patenteux. Pour que ça fasse plus joli, mais aussi pour protéger son invention des intempéries, il l’a peint en vert « John Deere ».
Avec cette nouvelle possibilité de se mouvoir et de travailler dans la ferme, notre patenteux nourrit beaucoup d’ambitions. Son accident lui a laissé des séquelles, comme un corps qui se fatigue plus rapidement. L’arrivée du tracteur et la possibilité de s’en servir n’a pas seulement contribué à son mieux-être émotif; les capacités de son corps s’en sont trouvées améliorées.
Être productif
Il se sent donc fin prêt pour attaquer sa première saison de foin. « J’ai déplacé bien des choses, j’ai retiré toutes les clôtures entre les champs, il faut que je puisse passer sans avoir à descendre du tracteur. » Il s’est fait la main à ce dernier, pour ainsi dire, passant l’hiver à déneiger les différents chemins d’accès à la ferme.
Chose certaine, il a hâte aux beaux jours pour se remettre au travail. « Ça ne peut pas vraiment constituer un travail, mesure-t-il. Mais je veux générer un foin de qualité. L’important, c’est d’être productif, explique celui qui, avant l’accident, ne tenait tout simplement pas en place. Vous savez, j’ai des amis; mais ces gens ont du travail de leur côté. Pour moi, c’est essentiel d’être autonome. » Et son lèvepersonne hydraulique, un « petit projet pour certains », dit-il, exerce un impact colossal sur sa vie.
Alors que nous concluons la visite, Yves Forand glisse dans la conversation le fait qu’il n’exclut pas la possibilité de reprendre du service comme opérateur de machinerie lourde. Son premier succès l’a manifestement inspiré. Il parle d’un autre système qui lui donnerait accès à des bulldozers ou à des niveleuses de rue. Décidément, rien ne l’arrête, notre patenteux!