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Dans le petit village de Saint-Denis, près de Kamouraska, Roger Dubé conduit son pick-up en saluant de la main les automobilistes qu’il croise sur le chemin. Ici, tout le monde se connaît. Et tout le monde connaît Roger Dubé! Notre patenteux émérite, qui gère avec son frère Paul et son neveu Michael une ferme laitière, bénéficie d’une réputation qui s’est répandue bien au-delà des limites de sa paroisse. Cet ingénieux bricoleur, dont l’esprit créatif affûté est toujours aux aguets, brille aussi par sa générosité rayonnante.
La ferme Edgar Dubé, du nom du père de notre patenteux, couvre plus de 200 hectares de riches terres le long du fleuve. Généreuses aussi, ces terres contribuent à l’alimentation du troupeau de 140 vaches laitières en fourrages et céréales. Parfois, les surplus de production sont vendus. La ferme possède toute la machinerie nécessaire à effectuer les travaux aux champs.
Il était tout jeune, Roger, quand il s’est mis à fouiller dans l’atelier de son père. Il aimait les animaux, même s’il était évident, dès cette époque, que c’étaient les machines qui le passionneraient. Puisque son père Edgar n’était pas porté sur le bricolage, c’est Roger qui s’est rapidement approprié l’entretien et la réparation des machines de ferme. S’il n’était pas le plus ardent élève à l’école, sa formation en soudure fut pour lui une révélation. Ce talent qui l’a porté en tête de classe allait lui servir toute sa vie professionnelle.
Comme bien de nos patenteux, c’est en s’amusant que Roger Dubé a aiguisé ses habiletés techniques. « J’ai modifié mes bicyclettes », se remémore-t-il. Rapidement, il s’est mis à des travaux plus pratiques pour la ferme. « Ma première création, si je me souviens bien, a été une leveuse à vache. Une simple sangle soulevée par un treuil permettait de remettre sur pattes une bête fiévreuse ou blessée. » L’équipement a été vendu à un autre producteur lorsque la ferme s’est dotée d’un chargeur.
Au fil des ans, Roger a multiplié le nombre de machines qu’il a inventées ou copiées à sa façon pour faciliter les tâches. Des machines parfois simples, mais surprenantes par leur ingéniosité.
Dans son entrepôt, près de la ferme, il nous montre par exemple un système de sa conception déclenchant à distance l’attache rapide installée derrière sa fourragère automotrice. Il s’est tout d’abord inspiré de ce qui se trouve sur le marché pour fabriquer son propre arrimage automatique. Afin d’améliorer le système, il a par la suite ajouté une minuscule caméra pour suivre l’opération directement du poste de conduite au moment de l’arrimage d’une voiture.
Cependant, une fois la voiture remplie d’ensilage, il fallait descendre pour la libérer manuellement dans le but d’en arrimer une autre. C’est alors que Roger a pensé lier le mécanisme à un déclencheur électrique qu’il pourrait commander de la cabine de la fourragère. Ce qui s’est traduit par une économie de temps. Le contrôle à distance est en fait un solénoïde de démarreur de voiture. Activé avec un commutateur par l’opérateur, le solénoïde tire une tige qui libère le mécanisme de retenue. Tout en suivant l’opération sur un écran couleur lié à la caméra à l’arrière de la fourragère, le conducteur peut alors manœuvrer la machine pour aller chercher une autre voiture. « C’est tellement pratique que je ne serais pas surpris qu’un manufacturier de fourragères propose ce système automatique en option sous peu », assure notre patenteux.
Avant de prendre la route, notre patenteux nous montre une voiture servant au transport des grosses balles carrées utilisées à sa ferme ainsi que dans plusieurs exploitations agricoles de la région. La structure de base, le patenteux l’achète. Pour la simple et bonne raison que selon ses calculs, il ne serait pas plus économique de les faire lui-même. Sur ce châssis, il construit toutefois une costaude plateforme d’acier à toute épreuve. De ces voitures, on en retrouve un peu partout dans le voisinage, car notre patenteux prête, vend et livre même sur commande toutes sortes de machines pour donner un coup de main à ses voisins agriculteurs. Afin de constater l’ampleur de ce rayonnement, nous avons avec lui entrepris une joyeuse tournée des villages avoisinants.
De Saint-Denis à Saint-Roch-des Aulnaies, c’est une demi-douzaine de fermes qui nous ouvrent leurs portes avec chaleur afin que L’UtiliTerre puisse voir les machines du patenteux à l’œuvre dans leur milieu de vie.
La première machine est un minichargeur à balles carrées que le patenteux avait fabriqué de zéro pour sa propre ferme, mais qu’il a finalement vendu à un autre producteur. Activée par un moteur Honda de 13 forces, la machine a été conçue avec pour principale contrainte celle de l’espace. « Je voulais pouvoir manœuvrer des charges lourdes dans une étable où les allées sont particulièrement étroites », détaille Roger. La machine qui a résulté d’un gros travail en atelier précédé de plusieurs nuits de réflexion répond parfaitement à ces conditions. Quatre roues à l’avant garantissent la stabilité alors que les deux roues arrière centrées et directionnelles permettent à la chargeuse de tourner sur elle-même et de se faufiler partout.
Dans une autre étable, nous trouvons un support sur rail pour balles carrées. Grâce à ce charriot aérien s’accrochant sur le rail supportant également le robot d’alimentation, le producteur peut déplacer d’une seule main, sur toute la longueur de l’étable, une grosse balle carrée de plusieurs centaines de livres. Selon notre patenteux, un charriot au sol aurait aussi fait le travail, mais il serait devenu difficile à pousser dès qu’il se serait trouvé des débris au sol.
C’est dans une autre étable que Roger Dubé nous guide vers la machine qui lui tient le plus à cœur, une pure invention en processus de brevet. Il s’agit d’un lance-paille amovible s’installant sur les charriots d’alimentation. Le concepteur ne compte plus les heures consacrées à la mise au point du prototype de sa propre ferme. L’idée de base lui est venue en observant le fonctionnement d’un débouleur à silo.
Une unité mobile portant un moteur à essence supporte une roue en spirale. En installant cet appareil sur la chute du soigneur à ensilage, le foin est propulsé sous les vaches. Pour souffler la litière en place, le producteur n’a qu’à mettre une balle de paille préhachée dans le soigneur et à actionner le moteur secondaire. C’est la vitesse du pont de la voiture qui servira à ajuster le volume soufflé sous les animaux. Le grand avantage de cette installation est qu’une fois cette besogne accomplie, le producteur retire le lance-paille et peut réaffecter le charriot motorisé à l’alimentation des animaux.
« L’objectif était de pouvoir travailler avec de la paille, ce qui exige des contraintes plus élevées que pour la ripe de bois, explique M. Dubé. Et puis, ce qui est très important, c’est que le producteur peut réaliser efficacement deux tâches avec le même soigneur. » En fait, l’idée semble très bonne puisque non seulement il a entrepris la longue démarche pour faire breveter sa machine, mais aussi parce qu’il en a déjà vendu une douzaine sans renfort de publicité. Là encore l’objectif n’est pas d’en faire commerce, mais de fournir une solution pratique et abordable aux producteurs. Pour ne pas se lasser de fabriquer la même machine, il en a confié la production à une entreprise de sa région.
L’artillerie lourde
Nous avons déjà mentionné comment notre patenteux rayonne dans la région. En fait, son expertise n’est pas seulement appréciée dans le domaine agricole. Laissons la parole à Marco Garon, propriétaire de l’entreprise Transport en vrac St-Denis. « J’avais la possibilité de décrocher un contrat de voirie pour le remplacement du pavage d’une route de campagne. Pour l’obtenir, il fallait être en mesure de couper l’asphalte avec précision pour l’arracher d’un côté tout en laissant la circulation automobile se poursuivre dans l’autre direction. J’ai téléphoné à Roger, je lui ai expliqué le problème et lui ai dit qu’on avait trois jours pour trouver une solution. » Un défi de taille que notre patenteux a relevé avec plaisir, malgré une certaine angoisse…
« La première idée qui m’est passée par la tête est le coutre sur une charrue, cette lame circulaire qui tranche la terre. Je suis parti de ce concept. Pour le premier prototype, nous avons mis justement un coutre de charrue au bout du godet accroché à l’extrémité du bras d’une grosse excavatrice. Avec des mouvements d’aller et retour, la lame devait couper dans le pavage. Mais le métal n’était pas assez résistant », lance le patenteux. La lame a volé en morceaux.
Néanmoins, l’idée était bonne. Retour à l’atelier où Roger découpe en vitesse une lame dentelée dans l’acier le plus résistant pour la fixer sur la pelle hydraulique. Il faut comprendre l’immense pression qu’exerce la pelle hydraulique sur le couteau. Nouvelles séries d’essais où, après avoir ajouté un roulement à billes de calibre industriel, le couteau s’est mis à trancher l’asphalte avec l’adresse – et l’allégresse – d’une jeune mariée découpant son gâteau de noces. « Les gens du ministère du Transport n’en croyaient par leurs yeux. Ils ont même pris des photos », ajoute Marco Garon en rigolant.
Manifestement très content de mettre notre patenteux en valeur, Marco nous mène vers un autre site pour exhiber la remorque fabriquée pour supporter et transporter le marteau piqueur dont il se sert dans ses divers chantiers. Cet appareil colossal peut passer d’une machine à l’autre, suivant les besoins de l’entreprise. Pour y accéder, on attache la remorque à un pickup, on se rend au chantier, et la pelle hydraulique vient cueillir le marteau piqueur directement dans son support, sur la remorque. En plus d’offrir une grande polyvalence, cette remorque, construite avec toute la solidité nécessaire, offre l’avantage de maintenir l’outil à la verticale, ce qui représente la meilleure façon de l’entreposer.
Cela étant dit, il avoue préparer un autre projet, un accessoire pour son lance-paille. Et il lance en guise de conclusion avec son sympathique sourire : « J’aimerais bien inventer une patente qui permettrait à nos Canadiens de gagner… » On lui souhaite bonne chance!