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Petite ferme, grandes idées
Pendant 30 ans, Gilles Giroux a réussi à élever des bovins sur une terre de roches entourée de forêts à La Bostonnais, dans la Haute-Mauricie. Non seulement tenait-il à garder en production ces terres défrichées par son grand-père, mais encore il pouvait réaliser son rêve d’élever des animaux. Sa grande débrouillardise technique n’est pas étrangère à sa réussite.
Notre patenteux est né tout juste à côté de la ferme où il habite actuellement. C’est là que son père exploitait une scierie. Entre autres clients, Il fournissait en bran de scie pour la litière un voisin qui élevait des bovins. « Dès mon plus jeune âge, j’ai rêvé d’avoir des animaux, se remémore-t-il. Aidé de mon beau-père, j’ai acheté cette ferme en 1982. Nous avons démarré avec quatre vaches. »
Parallèlement à ses activités d’éleveur, Gilles Giroux travaillait au « moulin à papier » de La Tuque. « J’y étais entré en tant que saisonnier, pour quatre mois, et j’y ai récemment pris ma retraite, après 36 ans. » Lorsqu’il a quitté la papeterie, il était responsable d’une machine de production. Une grande responsabilité qui lui plaisait, lui qui a toujours aimé la machinerie.
Mais revenons au début de cette histoire. À la ferme, les activités agricoles reposaient donc sur quatre vaches et moins de cinq hectares d’une terre de Caën à cultiver. « Entre les roches, on arrivait quand même à faire un bon foin. Assez pour nourrir un troupeau que nous avons porté jusqu’à 24 têtes au plus fort de l’élevage. Après quelques années, j’ai pris le plein contrôle de la ferme. »
À cette époque, Gilles Giroux travaillait à temps plein à l’usine, en plus de superviser le développement du troupeau et la commercialisation. « Pendant plusieurs années, raconte-t-il, je n’ai dormi que quatre heures par nuit. »
Après une période d’élevage de pur-sang Hereford puis de Simmental, l’éleveur a porté son choix sur une production de type vache/veau de race Charolais. Il s’est engagé à fond dans cet élevage, travaillant la génétique, trouvant des marchés et créant un réseau de contacts tout en louant des terres dans le voisinage pour s’assurer que le troupeau ait une bonne alimentation. « Quand on est petit et éloigné, on n’a pas le choix que d’être bons », résume-t-il.
On pourrait ajouter qu’avec peu de ressources, il faut aussi être un solide patenteux pour s’en sortir. À ce chapitre, M. Giroux ne laisse pas sa place. « Je tiens ça de mon grand-père paternel, souligne-t-il. Il s’était fabriqué un tracteur, en 1932, pour défricher les terres de la ferme. C’est pour vous dire. »
Nous entreprenons donc avec lui la tournée des machines, récupérations et transformations dont il a enrichi sa ferme au fil des ans.
Au début, l’alimentation du troupeau se faisait avec de petites balles carrées. Mais considérant qu’elles demandaient trop de manipulation, M. Giroux a opté pour de grosses balles carrées. Pour les entreposer dans le fenil, il a installé un rail aux chevrons du toit menant jusqu’à l’extérieur. Avec un treuil fabriqué à partir d’un moteur de convoyeur à balles carrées, il peut les soulever directement de la remorque et aller les ranger. À l’inverse, pour alimenter les animaux, il peut saisir une balle et la descendre dans l’étable par une trappe aménagée dans le plancher.
Dans l’étable justement, notre patenteux nous montre un équipement qui, en soi, est une véritable œuvre d’art. « Pour castrer et écorner les petits veaux, il faut qu’ils soient parfaitement immobilisés, explique l’éleveur, autant pour leur sécurité que pour celle de l’humain qui fait le travail. J’ai donc fabriqué une cage de contention qui bloque la tête par un système de guillotine qui s’ajuste à la grosseur du cou de l’animal. » Il a fabriqué l’appareil en frêne avec une impressionnante attention aux détails. Des roues escamotables permettent de déplacer facilement la cage d’un endroit à l’autre.
Dans le parc d’élevage, Gilles Giroux a construit un corral qui mène à une balance. Dans la production bovine, il faut peser régulièrement les animaux pour en suivre le gain, autant pour la régie du troupeau que pour la commercialisation. Au début, l’éleveur n’avait pas les sommes pour investir dans l’achat d’une balance neuve. Il a donc récupéré une balance commerciale pour la greffer à une cage de contention en métal, construite de ses mains.
Pour nourrir les animaux à l’extérieur, l’éleveur a fabriqué diverses mangeoires. Il a d’ailleurs une anecdote révélatrice à nous raconter à ce sujet. « En 1985, la municipalité a remplacé les tuyaux en acier galvanisé d’approvisionnement en eau, installés en 1950, par des conduites en plastique. J’ai récupéré d’un coup un mille de tuyaux galvanisés que j’ai utilisés depuis pour réaliser plusieurs projets. » L’un d’eux est justement une mangeoire d’une capacité de deux balles rondes montée sur un châssis de voiture à foin. La mangeoire peut ainsi être déplacée d’un pâturage à l’autre. À voir l’équipement, peint en jaune vif, on ne se douterait jamais qu’il est composé de tuyaux récupérés, pliés et assemblés par le patenteux.
Parlant d’alimentation, l’éleveur nous explique comment, au fil des ans et du fait qu’il soit passé des petites balles carrées aux grosses balles rondes, il a modifié ses voitures à foin. Il en avait trois qu’il a converties pour la mangeoire ou pour transporter les grosses balles carrées. Il nous a d’ailleurs montré une de ces remorques solidifiées avec des rails de chemin de fer récupérées et couvertes d’une plate-forme en planches d’épinette rouge. Un très bon choix puisqu’en 20 ans d’usage à l’extérieur, une seule planche a dû être changée. Pour plus de sécurité sur la route, il a ajouté des feux arrière à ces remorques.
La presse hydraulique que Gilles Giroux utilise dans son atelier pour plier le fer représente un autre cas de récupération. Trouvée dans un encan, la machine ne payait pas de mine. Quelques pièces étaient encore en condition, mais elle a dû être reconstruite en majeure partie. Le moteur d’origine a été remplacé par un autre qui provenait d’un ventilateur pour le séchoir à foin. Mais puisqu’il tendait à surchauffer sous l’effort, notre bricoleur lui a ajouté un ventilateur tiré d’une ancienne thermopompe.
Dans un coin de l’atelier, on trouve un autre outil qui rend de fiers services. Possédant un lot de bois attenant à ses terres, M. Giroux fait son bois de chauffage. « Avant de m’intéresser à une fendeuse hydraulique, je fendais une centaine de cordes à la hache. J’ai regardé ce qui se trouvait dans le marché et je me suis dit que j’étais bien capable de m’en fabriquer une. » Avec un bout de bélier de presse à foin et un moteur, il s’est construit une belle machine hydraulique grâce à laquelle il peut traiter de 200 à 300 cordes par an.
« Au début, la machine était actionnée par la prise de force du tracteur, explique-t-il. Mais je trouvais plutôt superflu d’avoir à démarrer un tracteur seulement pour cette opération. L’ajout d’un moteur m’a rendu plus autonome. » Portée sur une remorque, la fendeuse peut être déplacée à la guise de l’opérateur.
Toujours dans son atelier, Gilles Giroux nous parle d’un minichargeur qu’il est en train de reconstruire. La pesée faite d’un assemblage de bouts de rail est prête, mais la machine reste pour l’instant sous une bâche, le patenteux se réservant ce projet pour plus tard. « J’ai déjà trois tracteurs et une rétrocaveuse, je n’ai donc pas besoin de cette machine. Je veux seulement la remettre en condition pour la vendre. »
Avant de sortir de l’atelier, il nous montre l’enclume qu’il a mise sur roulettes et qu’il peut soulever grâce à un levier escamotable.
Ce sera difficile d’établir des limites aux talents de bricoleur du patenteux de La Bostonnais. Il vient de terminer des comptoirs de cuisine en bois pour un membre de la famille, ne compte plus les outils à roches et les attaches rapides sur ses tracteurs, et s’amuse à construire des modules de jeux pour ses petits-enfants. Bref, sa créativité est sans bornes.
Lors de notre visite, ce n’est pas sans émotion que Gilles Giroux nous a annoncé la vente de son troupeau et sa retraite de l’élevage. Sans relève parmi ses trois enfants, il abandonne la partie avec un grand sentiment d’accomplissement. « Je ne faisais pas de l’élevage pour faire de l’argent, résume-t-il. C’était avant tout pour réaliser un rêve de jeunesse. J’ai compris aussi avec les années combien ce volet de ma vie, sans patron pour dicter mon horaire, était important pour mon équilibre, avec le suivi des saisons. Je vais continuer d’entretenir les terres. Et même retraité, je sais que j’aurai toujours quelque chose à bricoler. »
Nous n’en doutons pas une seconde.