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Florent Labrecque n’est pas né patenteux. Enfant, rien ne le prédestinait à jouer dans les machines, l’acier, les cylindres hydrauliques et les carcasses de camions. Devenu agriculteur, il ne pouvait cependant se résigner à dépenser pour la coûteuse machinerie dont il avait besoin. Sa solution : la fabriquer!
Après avoir terminé sa 12e année et pris la relève de son père, Florent Labrecque ne se doutait pas que le cours de soudure auquel sa conjointe Pauline l’a traîné pour réparer la machinerie de la ferme allait être à l’origine d’une nouvelle passion. En fait, ce cours allait donner le coup d’envoi à son intérêt pour les machines, à son désir de les modifier et de les adapter à ses besoins.
« Quand il a un projet en tête, il en parle tout le temps : en se levant, toute la journée et même en se couchant. C’est son sujet de conversation », raconte Pauline. « Quand je me réveille la nuit, je jongle encore à mon projet », renchérit notre patenteux qui, jusqu’à tout récemment, était producteur de lait à la Ferme Chatouil enr., à Armagh, dans le comté de Bellechasse.
Florent aime dire qu’il n’a pas les moyens de se payer des machines neuves et que ça l’oblige à être inventif. À l’écouter, on voit bien qu’il apprécie particulièrement rendre plus polyvalentes les machines qu’il possède. Il éprouve une grande satisfaction en donnant vie à de vieilles pièces d’équipement qui, plus souvent qu’autrement, se retrouvent sur des tas de ferraille ou au fond de parcs de vieux camions. Évidemment, les besoins de la ferme sont les déclencheurs de ses projets. S’occuper de 25 vaches en lactation, de 50 hectares en terres cultivées, d’une érablière de 2000 entailles dont il est propriétaire avec son frère et d’un boisé de 50 hectares, ça crée des besoins.
Taupe maison
Une des premières inventions de Florent date des années 1980. Il avait alors constaté que ses champs s’égouttaient mal même s’ils étaient drainés. Bien avant que les grands manufacturiers offrent un tel équipement, il s’est assemblé une « taupe maison » qui lui rend encore de grands services. Comme ses champs sont très argileux, il déplorait souvent des accumulations d’eau de surface qui tardaient à s’écouler. « Quand ça se produit, je passe un coup de taupe tous les cinq mètres perpendiculairement à mes drains. De cette façon, l’eau pénètre dans le sol et se rend plus rapidement au drain. J’ai constaté de meilleurs rendements en foin là où j’utilise ma taupe », dit-il.
L’instrument se devait évidemment d’être très robuste puisqu’il pénètre jusqu’à 45 cm dans l’argile. La base est composée d’une vieille charrue Ferguson dont on a enlevé les oreilles et qu’on a inversée. C’est elle qui fixe bien solidement avec des boulons une plaque d’acier de 1 m de hauteur, 30 cm de largeur et 2,5 cm d’épaisseur. Cette plaque a été affûtée en biseau pour fendre le sol.
Notre patenteux a dû recourir à l’expertise de son beau-frère Jean-Pierre Rodrigue pour percer cette plaque d’acier afin d’y fixer de solides boulons. Il a également utilisé une soudure qui résiste à l’usure pour poser à sa base une tige cylindrique d’acier longue de 80 cm et d’un diamètre de 7 cm. Son extrémité avant a été affûtée pour faciliter sa progression dans l’argile. Rappelant la forme d’une torpille de sous-marin, cette partie de l’outil laisse derrière elle un tunnel qui amène l’eau jusqu’aux drains. Aucun risque de briser ces derniers puisqu’ils reposent à 1 m de profondeur, bien en dessous du passage de la taupe qui se situe à près de 45 cm.
Transport d’animaux
Le principe était simple, mais il fallait y penser. Il s’agissait d’utiliser la capacité de la faucheuse de monter ou de descendre pour ajuster sa hauteur de coupe et d’y déposer une vieille boîte d’épandeur pour accueillir les animaux en toute sécurité. Notre patenteux a confié à Lucien Bélanger, un habile artisan de la région, le soin d’assembler le tout. De son siège de tracteur, l’opérateur peut maintenant actionner les deux cylindres hydrauliques de l’ex-faucheuse qui descendent la base de la remorque à la hauteur du sol pour le chargement des animaux et la relèvent au moment du transport dans les champs. Le concept fonctionne très bien. Il ne restait plus qu’à poser un toit sur la boîte pour protéger les animaux des intempéries et à recouvrir sa base de planches de bois pour le confort des animaux. C’est Marianne, la fille de Florent aujourd’hui agronome, qui a pris la responsabilité de peindre la remorque aux couleurs de la robe des vaches Holstein.Après avoir perdu quelques combats extrêmes contre des vaches et s’être fait éjecter tête première de remorques pour le transport des animaux, Florent Labrecque a entrepris de régler le problème. Il a constaté, comme tous les producteurs de lait d’expérience, qu’une bonne partie du problème découlait de la trop grande hauteur de la marche pour accéder à la boîte de la remorque. Un cauchemar pour les bovins et les éleveurs. Notre patenteux cherchait inlassablement un moyen de réduire au minimum la hauteur de sa boîte pour faciliter l’accès des animaux tout en gardant un espace de dégagement suffisant pour circuler dans ses champs. « Alors que je regardais mes vieilles affaires, l’éclair s’est fait, dit-il. J’ai eu l’idée de marier un vieil épandeur à fumier à une aussi vieille faucheuse New Holland 469. »
Selon Florent Labrecque, la remorque peut transporter deux gros bovins sans problèmes. Il a même pensé à installer un petit treuil manuel pour tirer les plus récalcitrants. « [La remorque] est très polyvalente, se félicite-t-il. Je m’en sers pour mettre mes grains à l’abri durant les semences, déménager le piano de mon épouse, aider les voisins, etc. »
Chargeuse et Lego
Florent Labrecque se définit d’abord comme un producteur de lait. Il dit avoir toujours passé un minimum de sept heures par jour à l’étable. « Je me disais que c’est très facile de perdre 2000 $ dans le lait, mais que c’est beaucoup d’ouvrage pour gagner le même montant dans le bois », raconte-t-il.
Il lui fallait donc être efficace quand il sortait de l’étable et travaillait dans son boisé. C’est ce qui l’a amené à construire une chargeuse qui, encore une fois, ne lui a presque rien coûté. « Je me suis inspiré des anciens camions qui ramassaient le bois de sciage avec des bras actionnés par un treuil et des câbles d’acier », dit-il. Pour le déchargement, il a repris le concept des sleighs à bois tirées par des chevaux et utilisées par nos ancêtres. Les poteaux, ou catins de bois, quoique peu sécuritaires, selon lui, se décrochent facilement et laissent rouler les billes en dehors de la remorque.
À partir d’un châssis de camion déniché dans un parc à ferraille, Florent Labrecque a construit sa chargeuse qu’il dépose sur un tandem à bois avec son tracteur. Il suffit de la fixer avec une dizaine de boulons, et le tour est joué.
Le projet de Florent a inspiré son fils Jérôme qui est aujourd’hui ingénieur en mécanique. À l’époque, ce grand amateur de Lego Technic a produit une maquette de la chargeuse que son père n’a eu qu’à reprendre à grande échelle. « Chaque pouce de cette dernière correspondait exactement à un pied de la chargeuse », précise l’agriculteur. Cet exercice, qui a nécessité beaucoup de calculs et de minutie, pourrait sembler simpliste, mais il a eu une incidence déterminante sur le processus de création de l’appareil. « J’ai gagné beaucoup de temps, évité les erreurs et économisé sur les matériaux en me référant à la maquette. Ça m’a aidé à proportionner », insiste notre patenteux.
Cette maquette s’est révélée particulièrement utile au moment de concevoir le bras double du chargeur. Il fallait que ce bras soit assez court pour que, une fois déposé au sol, il puisse profiter au maximum de l’effet de levier pour soulever les billes et les ramener sur la plateforme. Grâce à la maquette, Florent a pu déterminer l’angle exact qu’il fallait donner à la partie pivotante du bras sur lequel est fixé le cylindre hydraulique qui actionne la partie mobile de la chargeuse.
Florent avoue que pour se simplifier la tâche, il préfère placer sa machine dans une pente légère pour qu’il soit plus facile de glisser les billes sur les deux branches de son bras mobile. « Ma chargeuse n’est évidemment pas sophistiquée comme celles qui sont offertes par les grands manufacturiers. Cependant, elle fonctionne très bien et, surtout, elle ne m’a presque rien coûté », se réjouit-il.
Tout un treuil
Le treuil est relié à la prise de force du tracteur par une grosse chaîne à rouleau. « Il est assez rapide et peut être embrayé et débrayé à partir d’un court bras et de la prise de force », se félicite-t-il.Pour tout producteur forestier, l’utilisation d’un treuil est indispensable pour sortir les billes de bois et les amener à la chargeuse. « Ça faisait dix ans que je rêvais d’en avoir un », se rappelle Florent. Encore une fois, il a décidé de mettre son ingéniosité à l’épreuve. C’est à partir d’un treuil arraché à un vieux camion de l’armée à six roues motrices qu’il a entrepris son assemblage. Il l’a d’abord fixé tout en haut d’un cadre robuste en tubes carrés de 10 cm sur 10 cm. Il a attaché ce cadre en trois points à l’arrière de son tracteur. « Je voulais que le treuil soit assez haut pour qu’il soulève légèrement la tête des billes, ce qui les rend plus faciles à traîner et fait moins de dommages dans l’érablière », explique-t-il.
Une poulie d’orientation située sous le treuil permet au câble d’acier qui fait 40 mètres de s’enrouler uniformément sur son rouleau même si la bille traînée est en angle avec le tracteur. Florent utilise à l’occasion une autre poulie qui peut être attachée avec une chaîne à un arbre pour contourner les obstacles.Florent a eu l’idée de fixer au bas de la machine un couteau usagé de niveleuse, ce qui lui donne plus de poids et, surtout, permet de l’incruster dans le sol gelé pour que le treuil tire la bille, et non l’inverse. « Ce treuil traîne jusqu’à 8000 kg, alors que mon tracteur n’en fait que 3500. Il faut l’ancrer dans le sol », explique-t-il.
Pince à branchages
L’entretien des bordures des champs en zones boisées et l’exploitation d’une érablière impliquent beaucoup de travaux d’élagage et de gestion de branchages. Notre bricoleur cherchait un moyen peu coûteux et efficace de manipuler ces branchages et d’en disposer. Comme il a le don de multiplier les usages des équipements dont il dispose, l’idée lui est venue d’utiliser ses pics à balles rondes pour en faire l’élément de base d’une pince à branchages.
À partir du concept pensé par notre patenteux, son fils Jérôme et Lucien Bélanger, qui possède une presse hydraulique pour plier l’acier, ont conçu la partie supérieure de la griffe. La course des deux cylindres hydrauliques a donné lieu à beaucoup de recherches, mais les résultats en valent la peine.Le défi consistait à trouver le moyen de fixer une griffe qui s’ouvre et se referme sur les pics. Florent a constaté que ces derniers sont assez forts pour écraser les tas de branchages et même soulever des billes de bois. « C’est l’idée de souder deux tubes carrés sur la base des pics à balles rondes qui a permis à ce projet de prendre forme. Il s’agissait par la suite de glisser à l’intérieur de ces derniers deux autres tubes carrés plus petits qui soutiendraient la partie mobile de la fourche », raconte-t-il.
Simplicité
Florent Labrecque a réalisé toutes ses machines avec un minimum d’outils. L’UtiliTerre n’a pas découvert de vaste atelier super équipé lors de sa visite en octobre dernier. Les outils de base utilisés à la Ferme Chatouil sont une scie industrielle pour couper le métal, une soudeuse électrique Miller et une grosse perceuse Black & Decker. Tout comme pour ses machines, c’est la preuve que la philosophie de Florent Labrecque fonctionne. De grandes réalisations sont possibles même avec de petits moyens.