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Avant 2016, les pays tentaient de conclure des accords de libre-échange afin de diversifier leurs partenaires commerciaux, et les produits de base comme les grains en bénéficiaient généralement. Or, depuis, la guerre commerciale a éclaté entre les États-Unis et la Chine, les conflits internationaux se sont multipliés. Plusieurs analystes économiques et politiques avaient alors annoncé la fin de l’époque du libre-échange. Les facteurs géopolitiques sont hautement imprévisibles, augmentant la fluctuation du prix des grains, d’où la pertinence de les analyser.
La Russie et l’Ukraine
Le premier facteur géopolitique de l’heure est sans contredit la guerre en Ukraine. Avant l’invasion russe, la part des exportations de ces deux pays sur l’ensemble de la planète correspondait à 15 % pour le maïs, 28 % pour le blé et 75 % pour l’huile de tournesol. À partir du 24 février, un arrêt brutal des exportations de grains pour ces deux pays était anticipé, en raison notamment des sanctions de l’Occident, mais ça n’a pas été tout à fait le cas. De plus, un accord de 120 jours sur les exportations de grains et d’engrais par la mer Noire entre l’ONU, la Turquie, la Russie et l’Ukraine a été conclu le 22 juillet 2022 et a été renouvelé le 17 novembre. Cependant, la situation ne fait pas l’affaire des deux parties principalement concernées. L’Ukraine accuse la Russie de nuire volontairement à l’inspection des navires, qui s’élève à seulement 2,5 inspections par jour alors que plus d’une centaine de bateaux attendent d’être examinés, ce qui freine les exportations de grains de l’Ukraine.
De l’autre côté, la Russie se plaint que l’accord ne lui a pas permis d’exporter plus de grains à cause des sanctions de l’Occident. La Russie désire également exporter son ammoniaque par pipeline jusqu’à un port ukrainien et une entente semblait imminente en décembre dernier. Or, les pourparlers n’ont toujours pas abouti. Bien que la guerre en Ukraine ait créé tout un fracas sur les marchés mondiaux, les conséquences sur le monde agricole seront pleinement ressenties en 2023. Une association de producteurs ukrainiens estime, selon un scénario optimiste, que la prochaine récolte sera au mieux de 18 millions de tonnes (Mt) de maïs et de 16 Mt de blé comparativement à la production d’avant-guerre à 42,13 Mt et 33,01 Mt.
La Chine
La demande de la Chine, principale importatrice de grains fourragers du monde, est préoccupante étant donné sa gestion de la COVID-19. Xi Jinping avait initialement imposé des mesures sévères de confinement sous sa politique « zéro COVID ». Cela a eu pour effet de réduire la demande chinoise et de nuire considérablement à son économie : le PIB s’est accru de seulement 3 % en 2022, soit le pire résultat depuis 1976 en excluant celui de 2020. En décembre 2022, Pékin a mis fin à cette politique controversée alors que sa population était inadéquatement vaccinée.
En janvier, la Chine enregistrait des hausses importantes d’infections et de morts à la COVID-19, et celles-ci sont fort probablement sous-estimées, car les morts à la maison n’étaient pas déclarées et les médecins étaient dissuadés d’inscrire la COVID sur le certificat de décès. Ces croissances d’infections et de mortalités dues à la COVID se sont accompagnées d’un ralentissement de la demande chinoise à la veille des célébrations du Nouvel An chinois. Cependant, plusieurs analystes estiment que l’ouverture des frontières de la Chine devrait redresser la productivité et la demande dès le deuxième trimestre de 2023.
En plus de la gestion de la COVID-19, les tensions politiques entre Washington et Pékin ont des répercussions sur le marché des grains. Les différends concernant Taiwan et la guerre technologique ne font que détériorer les relations entre ces pays, qui étaient déjà à un très bas niveau depuis la guerre commerciale. Il n’est donc nullement étonnant que la Chine tente de diversifier ses partenaires commerciaux en matière de denrées agricoles et de réduire sa dépendance face aux États-Unis. Le récent accord avec le Brésil sur l’exportation de maïs génétiquement modifié en Chine en est un parfait exemple.
En conclusion, le marché des grains risque d’être encore volatil advenant un aléa climatique important étant donné les stocks serrés aux États-Unis et les nombreux conflits géopolitiques. Cependant, la fin annoncée du libre-échange ne s’est pas déroulée comme prévu. Bien que des liens commerciaux aient été interrompus, d’autres se sont créés, de sorte que les échanges se sont plutôt polarisés en deux camps : d’un côté, l’Occident et de l’autre, la Chine et la Russie. Le grain, qui autrefois s’écoulait facilement d’un pays à un autre, s’est ainsi transformé en un produit politisé.