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Les conditions relativement clémentes de ce début d’hiver ont permis au producteur de grandes cultures René Têtu, de Semences Magny, de poursuivre ses travaux sur environ une trentaine d’hectares de son exploitation de Montmagny afin de pouvoir cultiver un ancien pâturage datant du temps qu’il était producteur laitier.
« La récupération de cette parcelle va nous permettre de mieux configurer nos champs pour faciliter le travail de la machinerie et être plus efficaces », confie René Têtu. Aplanissement des coteaux, des buttes et des coulées, drainage de surface et souterrain, les travaux se succèdent à bon rythme pour pouvoir intégrer cette parcelle aux 350 hectares déjà exploités, en plus d’une cinquantaine d’hectares en location.
Avec Semences Magny, René Têtu produit notamment des semences de soya, de blé, de seigle et de pois vert sec. Il collabore avec plusieurs compagnies semencières au développement génétique des semences pour ensuite en faire la multiplication.
« On s’est lancés dans la production de semences assez rapidement après avoir abandonné la production laitière en 1986, raconte le producteur. En se spécialisant, on s’assurait une sécurité de revenu. »
Une expérience après l’autre
Lorsqu’il est question de mener des expériences et de participer à des projets de recherche, René Têtu se montre souvent volontaire.
Il en a encore donné la preuve l’an dernier. Après que les limaces eurent attaqué son champ de canola très tôt dans la saison, il a alors travaillé son champ pour y mener une expérience de culture du haricot sec à la demande d’une entreprise semencière. « Ç’a été concluant. Je crois bien que je vais recommencer », dit-il.
Le producteur reconnaît que ces collaborations lui offrent des occasions inespérées d’être aux premières loges des développements. « Les connaissances qu’on acquiert m’amènent à changer énormément mes pratiques. Elles nous fournissent des données scientifiques pour mieux comprendre ce qu’on fait et nous permettent au besoin d’appliquer des changements dans nos façons de faire », souligne-t-il.
Il en veut pour preuve la façon dont il a changé sa manière de travailler le sol afin de minimiser les risques d’érosion. « Ici, on se trouve dans une zone où le sol est extrêmement sensible à l’érosion. Au printemps, on voyait bien les effets sur nos terres, évidemment surtout dans les pentes. Très tôt, dès les années 1990, on en est venus à modifier nos façons de travailler. Ça s’est fait graduellement. On a réduit le travail du sol, délaissé le labour traditionnel et utilisé un cultivateur lourd, puis on a migré vers le semis direct et on a utilisé les plantes de couverture et des plantes intercalaires. Et bien sûr, on en est venus à réduire l’utilisation de pesticides. »
Si de telles pratiques sont répandues aujourd’hui, elles étaient encore jugées marginales dans les années 1990, à l’époque où René Têtu les a intégrées à ses méthodes de travail. « Il faut bien reconnaître qu’à l’époque, on ne savait pas trop où on s’en allait. Au fil du temps, on a amélioré nos connaissances en participant aux journées de phytoprotection, aux démonstrations aux champs. J’allais prendre des informations et je les adaptais à ma situation. »
Il n’aime pas le dire, mais force est de reconnaître que René Têtu a une prédisposition à être précurseur, avec son tempérament curieux qui l’amène à expérimenter et qui, aujourd’hui encore, l’incite à participer à différents projets de recherche.
L’une de ses plus récentes collaborations concerne une étude sur la dégradation du glyphosate sur des terres cultivées en semis direct avec une couverture végétale permanente, de résidus de récolte ou de culture de couverture, ou les deux, associée à une rotation et une association des cultures.
Le projet doit permettre de comprendre la dégradation du glyphosate dans un contexte de rotation maïs-soya-blé avec la luzerne comme plante de couverture par rapport à une rotation maïs-soya.
Il s’agit d’une recherche de cinq ans menée par Marc Lucotte, titulaire de la chaire de recherche de l’UQAM sur la transition vers la durabilité des grandes cultures, et Louis Pérusse, agronome du réseau SCV Agrologie.
René Têtu reconnaît qu’il fonde beaucoup d’espoir sur les résultats de ces travaux. « Notre objectif est de démontrer que les producteurs font des efforts pour réduire le plus possible l’utilisation des pesticides parce qu’on est conscients que les végétaux développent de la résistance. Alors, on change nos pratiques, on adapte les rotations pour diminuer les maladies, les insectes… »
Le producteur de Montmagny est bien conscient que sa participation à de telles recherches ne se fait pas sans effort. « C’est vrai que ça demande de l’implication parce que le temps que tu mets là-dessus, tu ne le mets par sur autre chose. Je le fais pour moi autant que pour les autres parce qu’on sait bien qu’il y a des inquiétudes dans la population. Alors quand je participe à un projet de recherche comme celui-là, je sais que c’est tout le milieu agricole qui pourra en profiter. »
Le producteur sait pertinemment que tous les gains qui sont faits en efficacité et en rendement contribuent à la santé financière de l’entreprise. « On a les outils pour rendre le sol productif, dit-il. Le but est de produire le plus économiquement sans détériorer le sol et pour ça, on travaille vraiment dans les détails. »
Une affaire de famille
Si René Têtu se montre à ce point préoccupé par la santé de sa terre, c’est qu’il est le dépositaire d’un domaine qui appartient à sa famille depuis plusieurs siècles. Lui représente la huitième génération. Son fils Léandre, qui est impliqué dans les opérations et va entreprendre des études universitaires, sera donc la neuvième.
Sa généalogie en fait d’ailleurs l’un des descendants de Louis Hébert, apothicaire français reconnu comme le premier cultivateur de la Nouvelle-France.
Reste que la génération précédente, les parents de René, est toujours au poste à suivre et à participer au développement de l’entreprise, sa mère Juliette Coulombe en collaborant à la tenue de livres et son père André en participant aux opérations saisonnières.
« À 87 ans, il a encore de l’ambition, souligne René Têtu en rigolant. Au moment des semis et des récoltes, il me demande ce qu’il peut faire. »
D’ailleurs, c’est avec la complicité de son père que le producteur a décidé, il y a presque 40 ans, d’abandonner la production laitière et d’acheter des terres voisines pour se consacrer aux grandes cultures, une décision que père et fils n’ont jamais regrettée.
Cet article a été publié dans le cahier Grains de janvier 2023.