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Les matchs du Canadien tordent toujours un peu le cœur de Georges. Mais, en ce soir de Noël, la douleur lui est insupportable. Il préfère fermer le téléviseur.
Georges ne tient pas en place. Pas par excitation, mais plutôt par ennui. Ce soir, la maison est particulièrement vide. Surtout que, l’été dernier, sa Lucie est partie tout doucement pour un monde meilleur, comme on dit.
Seul, il redécouvre les traces de la vie qui a déjà animé cette petite maison de ferme qu’il a payée à coup de journées sur son tracteur. Comme les marques dans la plinthe du corridor, commises le jour où son aîné a joué « pour vrai » dans la maison avec patins et tout le reste. Et comme la photo de sa petite-fille Charlotte à qui il a déjà enseigné l’art du lancer frappé.
Le cœur gros, Georges choisit de sortir. Il préfère se rendre au village dans l’espoir de trouver un café ouvert à Noël. Il y trouve plutôt le stationnement de l’aréna curieusement rempli. Un match? Ce soir? Intrigué, il descend de sa camionnette et pénètre dans l’enceinte.
« Georges! Mais qu’est-ce que tu fais là? La deuxième période va commencer. Dépêche! »
Georges se retourne. C’est son copain Camille qui vient de le prendre par le coude. Cet ancien policier possède encore la poigne solide. Sans attendre de réponse, il l’entraîne vers le vestiaire des joueurs.
« Georges Laplante, d’où sors-tu? » C’est MacGregor qui vient de parler.
« Tu t’expliqueras après. Habille-toi, pis vite », ajoute l’entraîneur.
Georges comprend de moins en moins quand un joueur vaguement familier lui tend un sac militaire. Il y trouve ses épaulettes, ses patins, ses jambières…
Une sirène hurle et, d’un bloc, les joueurs se dirigent vers la porte. Joseph, Henri, Averett… Georges les reconnaît tous, comme s’ils n’avaient pas changé depuis toutes ces années. Ne sachant plus quoi penser, il enfile son équipement. Et dès qu’il sort du vestiaire, MacGregor lui fait signe de sauter sur la glace.
Georges ouvre la porte, mais hésite avant de sauter. Ses jambes ne sont plus aussi fortes qu’auparavant. Une chute devant tout ce monde serait une telle humiliation.
« Come on! » lui crie MacGregor.
Georges avance un patin et se lance sur la patinoire. La cheville tient bon et la cuisse se détend avec force. Les épaules balancent avec grâce. En quelques enjambées, il se retrouve au centre de la glace. Émile est à sa gauche. Le jeune Frénette à droite. Il jette un œil au tableau indicateur : son équipe tire de l’arrière par quatre buts.
L’arbitre lève la rondelle et la jette aussitôt. Surpris, Georges prend quelques fractions de seconde de retard sur le jeu. Mais, à sa grande surprise, il rejoint rapidement son opposant. Il retrouve tout aussi vite ses feintes de la tête, la force de ses mises en échec et ses lancers des poignets dévastateurs. Georges impose son règne sur la patinoire. Mais, malgré un tour du chapeau, il doit accepter un résultat amer. Une défaite de 5-4.
Une heure plus tard, tout le monde a quitté l’aréna, sauf Georges. Il reste sur le banc, toujours incrédule.
« Georges Laplante? » entend-il soudainement derrière lui. Il reconnaît cette tête. C’est Louis Blainville, le dépisteur du Canadien de Montréal. « Tu te souviens de notre offre? »
L’offre du Canadien! Un salaire de 3 500 piastres et un emploi assuré sur les camions de Molson pendant l’été. Bien sûr qu’il s’en souvient; cette offre l’a tourmenté pendant les 35 dernières années. Bien sûr qu’il va accepter.
Il vient pour lâcher son « oui » lorsqu’il reconnaît une jeune fille qui se tient timidement à l’écart. C’est Lucie. Elle est là, les lèvres serrées. Elle a déjà prévenu son fiancé qu’elle ne le suivrait pas à Montréal.
Aucun son ne sort de la bouche de Georges. Il prend de grandes respirations. Puis il s’entend dire : « Non, monsieur Blainville. Je préfère demeurer ici. »
Le son d’une cloche fait relever la tête du héros de la soirée. Du monde s’impatiente à sa porte.
« Joyeux Noël! » lui crie sa petite Charlotte dès qu’il ouvre. Derrière elle, ils sont tous là. Ses filles et ses fils, chargés de plats et de sacs multicolores.
Ce fut une soirée pleine de rires. Il y avait longtemps que Georges n’avait pas ressenti un tel bonheur. Une fois les cadeaux déballés, Charlotte vient le voir, un journal jauni entre les mains. À la une, une grande photo montre son grand-père porter au bout de ses bras l’immense coupe d’argent du championnat provincial.
« Dis, grand-papa, est-ce le plus beau trophée que tu as gagné, ça? »
Le cœur crispé, Georges regarde sa famille réunie autour de lui. Il jette un coup d’œil au téléviseur. Le Canadien l’avait remporté. « J’aurais pu gagner de plus beaux trophées, ma petite fille », répond-il.
« Mais aucun comme toi. »
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