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Des agriculteurs ont vu leurs services de comptabilité et de fiscalité se dégrader ces derniers temps. En date du 5 décembre, certains n’avaient même pas encore reçu leur déclaration d’impôts complétée.
D’autres producteurs risquent de ne plus être servis par leur firme comptable actuelle et devront se trouver une nouvelle firme pour 2023. Dans certaines régions du Québec, les services de comptabilité agricole SCF Conseils, qui éprouvaient déjà des difficultés à l’interne, frappent brutalement le mur de la pénurie de la main-d’œuvre. Le manque d’employés est généralisé et affecte un grand nombre de firmes comptables, même en dehors du secteur agricole.
Des répercussions
L’acériculteur Éric Bélanger, de Grand-Remous en Outaouais, fait partie de ceux qui n’ont toujours pas reçu leur rapport d’impôt 2021, même si tous ses papiers avaient été remis à l’avance à SCF CPA Outaouais-Laurentides. Le fait de ne pas avoir encore son rapport d’impôt a complexifié l’achat d’une maison qu’il convoitait et maintenant La Financière agricole du Québec lui a signifié que, n’ayant pas reçu ses données financières en date du 30 novembre, il perdra 40 % des montants provenant des programmes de sécurité du revenu. « Ce que je déplore surtout, c’est qu’on nous laisse à nous-même. Pas de retour d’appel. On dirait que c’est l’omerta. On laisse des messages, mais il y a tellement de monde qui est parti qu’on ne sait pas si le message se rend à quelqu’un ou pas. Pourtant, c’est une firme de l’UPA [les équipes de SCF Conseils étant affiliées aux fédérations régionales de l’Union des producteurs agricoles]. J’en ai parlé pendant 40 minutes à mon délégué syndical la semaine dernière, sans obtenir plus d’information », témoigne-t-il, découragé.
À la fin novembre, Nathalie Messias, la directrice de la Fédération de l’UPA Outaouais-Laurentides, a expliqué à La Terre avoir mis en place un changement de structure à la suite duquel plusieurs comptables ont démissionné. « On s’est retrouvés avec une équipe complètement renouvelée ou presque […] qui manquait de formation, a-t-elle alors reconnu. Le SCF Conseils Montérégie a été en mode soutien pour nous venir en aide, mais on avait trop de clients et on n’a pas pu rendre la marchandise. »
Les clients n’ont pas été contactés « par économie de temps », a précisé Mme Messias, avouant que « le service à la clientèle a été mal mené ». La pénurie de main-d’œuvre rend le recrutement laborieux, surtout qu’il faut trois ans pour qu’un comptable soit pleinement formé en agriculture, a-t-elle souligné. Le SCF Conseils de sa région aura à faire des choix, estimait Mme Messias, qui a spécifié que les agriculteurs ayant une comptabilité désorganisée ou devant être rappelés à maintes reprises pour payer leur facture devraient peut-être se trouver une autre firme de comptabilité.
Ailleurs au Québec
Le SCF Conseils Chaudière-Appalaches a subi le départ de cinq comptables et éprouve un certain retard dans le traitement des dossiers, dépeint James Allen, président de la Fédération de l’UPA Chaudière-Appalaches. « C’est sûr qu’on manque de main-d’œuvre. On était en train de mettre en place l’approche lean [modèle de gestion sans gaspillage]. Je crois que cela a dérangé un peu. Il y en a qui sont partis. Ces comptables produisaient beaucoup, et déjà qu’on manquait de monde… Mais on continue de mettre en place l’approche lean. Par contre, avec la pénurie de main-d’œuvre, je pense qu’on n’a pas touché le fond du baril », s’inquiète-t-il. Son organisation évaluera dans les prochaines semaines le nombre de clients à servir en fonction de la main-d’œuvre en place.
À la Fédération de l’UPA de la Capitale-Nationale–Côte-Nord, les deux dernières assemblées générales annuelles ont fait ressortir des déficits d’exploitation significatifs de leur SCF Conseils. « Ça n’a pas été facile, on a eu des départs de comptables. L’équipe n’est pas complète, ce qui a créé du retard et de l’insatisfaction chez les producteurs. […] Il a fallu payer des dédommagements aux producteurs pour des pénalités de retard [que les clients ont encouru] », décrit Yves Laurencelle, président de la fédération régionale.
Ce dernier assure que son équipe travaille d’arrache-pied à ramener le service sur la voie de la rentabilité et à rendre les producteurs satisfaits. « Mais, on ne se le cachera pas, c’est extrêmement dur de recruter. Nos salaires ne sont pas au goût du jour. Sur le marché, on est en dessous », constate-t-il.
Hausser le salaire des comptables afin d’être plus attractifs n’est pas une mince affaire, car il faut renégocier la convention collective qui comprend tous les autres employés de la fédération. Le cas échéant, l’ensemble de la masse salariale gonflera.
La stratégie envisagée consiste non seulement à corriger les retards du service comptable et fiscal, mais aussi à l’amener à un niveau supérieur. « On veut une organisation plus efficace. On est en train de mettre en place un partenariat avec le [SCF Conseils du] Bas-Saint-Laurent. Ensemble, on veut aller se chercher un gros gestionnaire de bureau de comptables avec une plus grande expérience et un thinking du privé », détaille M. Laurencelle.
Une situation généralisée
La Terre a contacté deux bureaux de comptables privés qui touchent à différents secteurs économiques autres qu’agricoles. La pénurie de main-d’œuvre demeure un enjeu majeur global, ont-ils souligné. Sans vouloir tout détailler publiquement, ces intervenants affirment refuser des clients faute de main-d’œuvre. Même qu’une pratique de délestage est appliquée. Les clients moins agréables ou inutilement énergivores sont ainsi mis de côté. Le « vol » de personnel est une autre réalité à laquelle ces firmes sont confrontées. Des comptables se font recruter par des compétiteurs.
Pommes et café à volonté dans le Centre-du-Québec
Le SCF Conseils Centre-du-Québec n’accuse pas de retard dans le traitement des dossiers des producteurs, mais le manque de main-d’œuvre tourmente néanmoins l’organisation, qui met la gomme ces temps-ci pour retenir les employés et faciliter leur recrutement. « On n’a pas le choix de faire des ajustements salariaux. Et même si on offre des horaires flexibles et un fonds de pension, on essaie d’en donner encore plus pour garder nos employés. On a un comité social, qui crée des activités. On offre des pommes gratuites à volonté. Et le café gratuit à volonté, ça s’en vient », annonce le directeur du service, Martin Perreault.
Ce dernier assure que même si son service va bien, les départs à la retraite qui se profilent à l’horizon créent une pression, car le recrutement demeure difficile, autant pour un fiscaliste que pour un technicien. « Ça fait six mois qu’on affiche des postes et il n’y a pas de monde qui applique », atteste-t-il. Raison de plus, selon lui, pour prendre soin des employés actuels. « Je manque de staff, et il ne faut pas écœurer notre monde, alors on va filtrer les clients plus difficiles à gérer », indique celui dont la firme sert près de 2 000 entreprises.