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Au petit matin, avant que les visiteurs ne viennent cueillir les bleuets à sa ferme, Jeannine Messier va à la rencontre d’Edwige, son oiseau de proie. En la voyant s’approcher de sa volière, il piaule d’impatience. L’agricultrice enfile alors son gant de cuir et prend sur sa main le prédateur, avant de le laisser s’envoler au-dessus du champ. Depuis 2011, Jeannine Messier peut compter sur sa buse de Harris pour effaroucher les oiseaux gourmands qui prennent d’assaut sa bleuetière pendant la saison chaude.
Après avoir envisagé les autres moyens d’effarouchement comme les canons et les épouvantails, qui sont selon elle peu utiles, Mme Messier a voulu faire appel à un fauconnier. « Mais c’était hors de prix. Ça “mangeait” toute ma saison de bleuets. » Elle calcule qu’il lui aurait coûté près de 5 000 $ par été pour une telle intervention, puisque le dresseur doit être sur place avec l’oiseau.Quand l’agricultrice a fait l’acquisition du 606, Le Bas-du-Petit-Rang-Saint-François, elle a dû installer les filets pour protéger ses petites baies contre les oiseaux nuisibles. « Je les ai posés une fois, en 2010, et je me suis dit : “Plus jamais! C’est ben trop d’ouvrage!” » s’exclame-t-elle. Elle explique qu’il faut en moyenne deux semaines pour les mettre en place, puis deux autres pour les retirer. « Tout ça pour quatre semaines d’usage », poursuit la productrice.
Devant de pareils frais, Jeannine Messier a décidé de se secouer les plumes. Si son budget ne lui permettait pas de faire appel à un fauconnier, elle allait suivre un cours pour en devenir un.
Avait-elle déjà la passion des prédateurs ailés? « Non, j’avais surtout la passion de ne pas poser de filets! » lance-t-elle dans un grand rire.
Reste qu’Edwige vole au moins une heure et demie quotidiennement. « En fin de compte, c’est peut-être autant de travail que la pose de filets, mais c’est réparti autrement et c’est un vrai trip », affirme-t-elle.
Petit à petit, l’oiseau fait son nid
Selon Jeannine Messier, les techniques de fauconnerie en agriculture demeurent un peu moins efficaces que les filets. « J’ai cependant calculé que j’aurais dépensé environ 4 000 $ annuellement pour les poser, en plus des frais d’entretien. Alors, avec Edwige, je me dis que je peux supporter de perdre l’équivalent en termes de bleuets. »
Dans le cours que Jeannine Messier a suivi au Centre de fauconnerie Autourserie du Québec, elle a appris les règles de l’affaitage, c’est-à-dire les techniques de dressage d’un oiseau de proie. « Edwige a été élevé en captivité, mais c’est un oiseau sauvage. Ça ne l’intéresse pas de venir vers moi », soutient la productrice. Petit à petit, elle a dû l’apprivoiser avec de la nourriture. « Ç’a pris à peu près trois jours avant qu’il décide de venir au gant, et deux semaines avant qu’il puisse voler et revenir quand on l’appelle. »Elle estime que son oiseau de proie lui permet de sauver la moitié des petits fruits qu’elle aurait perdus si elle n’avait bénéficié d’aucune protection. « Si j’avais quelqu’un en tout temps pour le faire voler, ce serait efficace à 90 % », précise-t-elle.
Dorénavant, Edwige est un allié essentiel de l’équipe de la Ferme Équinoxe. Chaque matin, la propriétaire entre dans la volière et prend l’oiseau. Elle doit d’abord le peser, pour s’assurer qu’il a le bon poids (entre 630 et 640 g). S’il est trop lourd, il est possible que ce soit plus difficile de le rappeler au gant à la fin du vol. Mme Messier veille donc au grain pour lui procurer une alimentation saine et parfaitement calibrée.
La buse de Harris peut voler jusqu’à environ une heure et demie. Après une période de repos de quelques heures, l’oiseau peut retourner au boulot, au-dessus de la bleuetière. « À intervalles plus ou moins réguliers, je le rappelle, puis je le relance. Les autres oiseaux sont craintifs et, au bout du compte, ça fait comme un petit ménage de mon champ, illustre-t-elle. Mais c’est à recommencer tous les jours, jusqu’à la fin de la saison des bleuets. »
L’hiver, Edwige troque son régime minceur contre une alimentation qui fait doubler son poids. « Quand il commence à faire froid, c’est sa façon de se garder au chaud », note la dresseuse.
En attendant le temps froid, Edwige s’acquitte de son devoir d’effarouchement à la Ferme Équinoxe. Il plane au-dessus de la bleuetière à la recherche d’une proie. « Hop! » C’est le cri du rappel. C’est l’heure de rentrer à la volière. L’oiseau fait demi-tour et se pose docilement sur le gant de la productrice. Jeannine Messier a su attraper l’occasion au vol et profiter de son aversion pour les filets afin d’innover. Elle semble aujourd’hui tout à fait à l’aise avec Edwige, son pirate de l’air.