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Notre planète se dirige-t-elle tout droit vers une catastrophe qui menace l’humanité? Plusieurs tendances montrent que la situation n’est pas aussi sombre que certains l’affirment. Dans son essai Repenser la conservation de l’environnement publié ce printemps, le professeur d’écologie, de conservation et de modélisation à l’Université Laval André Desrochers cherche à démontrer le caractère plus politique que scientifique du discours de l’establishment environnemental. Il propose une approche résolument moderniste pour résoudre les défis liés à la protection de l’environnement. Forêts de chez nous s’est entretenu avec lui.
Forêts de chez nous : Dans l’actualité, il est beaucoup question des conséquences des changements climatiques et de crises écologiques qu’on décrit comme catastrophiques. Dans votre ouvrage, vous ne semblez pas partager ce pessimisme. Qu’est-ce qui vous donne confiance en l’avenir?
André Desrochers : Cela fait plusieurs décennies que les prédictions catastrophiques ne sont pas avérées, alors j’ai un scepticisme par rapport à celles qui sont faites aujourd’hui. Je reconnais qu’on a des défis sur le plan environnemental, mais des solutions existent. Plusieurs espèces en péril comme le faucon pèlerin au Québec ont pu être sauvées grâce à des programmes de rétablissement qui ont été de vrais succès. Quand on se retrousse les manches, on est capable de faire de grandes choses, mais si on demeure pessimiste en disant qu’il est trop tard et que la vie sur Terre va s’effondrer, cette attitude nous éloigne de l’action. Si on alarme les gens sur un problème, encore doit-il être scientifiquement fondé. Cela n’est pas toujours le cas.
FCN : Dans votre livre, vous expliquez que les limites administratives ont une influence sur la préoccupation du sort d’une espèce dépendamment du côté de la frontière où elle se trouve. Si la frontière canado-américaine était le fleuve Saint-Laurent, le statut de certaines espèces serait-il différent?
AD : Il y a une différence entre le statut biologique d’une espèce et son statut légal, qui tient compte des frontières. Par exemple, certaines espèces de reptiles et d’amphibiens dont l’aire de répartition empiète légèrement dans le sud du Québec auront ici un statut protégé alors qu’elles sont plus abondantes aux États-Unis. C’est un problème bien connu chez les spécialistes et il pose des dilemmes. Est-ce qu’une espèce « limitrophe » mérite d’être protégée ou serait-il préférable d’allouer des ressources pour une espèce bien présente chez nous, mais qui est rare ailleurs? Prenez le cas du canard noir. C’est un oiseau commun dans nos lacs et nos forêts. Or, près de la moitié de la population de cette espèce niche ici. Nous sommes en quelque sorte responsables de cette espèce. À l’opposé, on consacre des sommes importantes à la rainette faux-grillon, un petit amphibien qu’on retrouve à l’extrême sud-ouest du Québec, mais qui se porte bien ailleurs. La décision va être finalement politique, elle ne sera pas scientifique. La science ne porte pas de jugement de valeur. Cependant, certains présentent des problèmes politiques comme des faits, ce qui nuit à la crédibilité et à l’efficacité de la conservation.
FCN : Vous abordez la question du principe de précaution qui est beaucoup employé par les autorités ou par certains groupes écologistes pour s’opposer à différents projets. Qu’est-ce qui cloche avec ce concept?
AD : Tel qu’il est appliqué présentement, le principe de précaution est à sens unique. On veut être extrêmement prudent avec l’option A – qui est de donner le feu vert à un projet –, mais on s’attarde moins aux risques liés à l’option B, soit ne rien faire. Par exemple, si on n’autorise pas un projet de coupe forestière dans une forêt privée, il y a un coût économique pour les promoteurs et la collectivité. On en revient à la bonne vieille analyse des avantages comparatifs. Il ne faut pas oublier les besoins des êtres humains dans l’équation.
Donc, si on revient à notre exemple de projet de coupe, le principe de précaution revient à vouloir protéger les espèces associées aux massifs des vieilles forêts. On refusera le projet par prudence ou on l’autorisera seulement si le promoteur prouve l’absence d’impacts négatifs pour ces forêts. Mais démontrer l’absence d’effets sur une chose est presque impossible à faire. Le fardeau de la preuve est totalement inversé.
FCN : Dans votre livre, vous écrivez que « l’étang créé de toutes pièces ou le site d’une coupe à blanc jugé sans valeur par les puristes d’aujourd’hui pourrait être jalousement protégé par les puristes de demain ». Pouvez-vous préciser votre pensée?
AD : On a la mémoire courte. En Europe, par exemple, des sites industriels qui n’avaient aucune valeur écologique autrefois sont aujourd’hui des parcs naturels que les gens aiment passionnément. Ici, on a le phragmite qui envahit nos milieux humides et contre lequel on se bat. Qui dit qu’en 2150, cette espèce ne sera pas menacée par une maladie ou un ravageur et que les générations futures ne vont pas essayer de le sauver parce que leur regard par rapport au phragmite a changé?
FCN : C’est un peu la même chose avec les aires protégées, non?
AD : La nature change tout le temps et il faut le réaliser. Si une forêt abrite une espèce animale donnée aujourd’hui, il n’est pas acquis que cette espèce y sera encore dans 50 ans. Faut-il conserver le même ratio d’essences végétales dans une forêt parce qu’historiquement, c’était ainsi? La science ne dit rien là-dessus. Si un jour la quantité d’épinettes blanches passe de 15 à 0 % dans une forêt parce que le climat change, ainsi soit-il. Certains amèneront l’argument qu’un milieu est nécessairement plus résilient parce qu’il possède plus d’espèces. Ce n’est pas toujours le cas. Prenez les tourbières ombrotrophes au Québec où l’on récolte la tourbe : ce sont des milieux très pauvres en espèces. Si on contamine ce milieu, d’autres espèces vont s’installer et cet écosystème va se dégrader.
FCN : Alors que certains prônent la décroissance de l’économie comme planche de salut pour l’environnement, vous proposez plutôt l’écomodernisme. Décrivez-nous ce concept.
AD : L’écomodernisme, c’est la promotion de la modernité pour aider l’environnement. Plutôt que d’appuyer sur le frein, il faut presser l’accélérateur pour innover. J’admets que c’est un concept assez controversé.
Dans les pays riches, on constate que les populations se préoccupent davantage de l’environnement et mettent de l’avant des lois pour protéger l’eau et l’air. Et ça fonctionne. En Amérique du Nord, la qualité de l’air s’est améliorée. La superficie des forêts à l’échelle du globe est relativement stable d’une année à l’autre. Elle est en croissance dans les pays riches, mais elle est en déclin dans les pays pauvres comme en Indonésie parce qu’ils ont des problèmes très immédiats.
Pour la forêt privée, l’écomodernisme passe notamment par la délimitation des zones de coupe appuyée par GPS pour se diriger vers une foresterie de précision afin de limiter le gaspillage ou encore par le développement de nouvelles machines qui ont une empreinte au sol plus faible et qui possèdent des bras plus longs. Ça passe aussi par l’économie circulaire qui transforme en ressource ce qui était autrefois un déchet.
FCN : Les changements climatiques amènent leur lot de défis pour les propriétaires de forêt, comme de nouvelles espèces envahissantes. Comment peuvent-ils espérer en atténuer les impacts?
AD : Je dirais que les propriétaires devraient faire du judo avec les changements dans leur environnement. Plutôt que d’essayer de les combattre, ils pourraient s’en servir comme levier pour voir s’ils peuvent développer de nouveaux produits avec les espèces qui arrivent. Si un propriétaire apprend que ses érables à sucre vont éventuellement être supplantés par une autre espèce ligneuse, il peut essayer de se démener pour maintenir cette essence-là, ce qui est extrêmement énergivore, ou il peut essayer de voir comment en tirer profit.
Les propos recueillis ont été édités dans un effort de concision.
Repenser la conservation de l’environnement
André Desrochers
Presses de l’Université Laval
251 pages
Cet article a été publié dans l’édition de septembre 2022 du magazine Forêts de chez nous.