Forêts 18 mai 2022

Ce qu’il faut savoir pour construire sa cabane à sucre

La popularité de l’or ambré se traduit par une explosion de projets de démarrage de cabane à sucre. Petit guide pour s’y retrouver dans les (nombreuses) questions à se poser avant d’entreprendre des travaux.

Le secteur acéricole est en pleine ébullition. Sur les sept millions de nouvelles entailles émises à la fin de 2021, environ la moitié est partagée entre 1 300 nouveaux producteurs. Plusieurs ont encore tout à faire avant la première coulée de sève, dont construire leur cabane à sucre.

« De nombreuses entreprises acéricoles sont actuellement en phase de démarrage. Avant de réaliser un tel projet, il est toutefois crucial de se renseigner adéquatement et de ne pas sauter d’étapes », affirme David Lapointe, conseiller en acériculture au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Preuve de l’actualité de cet enjeu, le MAPAQ a récemment publié un aide-mémoire destiné expressément aux nouveaux producteurs. Une section complète traite de l’aménagement et de la gestion des infrastructures de production.

« Avant toute construction ou modification de vos installations de production, il est essentiel de demander un permis de construction », lit-on dans ce document intitulé Démarrage en acériculture. Ce précieux sésame s’obtient auprès de votre municipalité ou de votre MRC, selon les cas. À savoir : une cabane à sucre est considérée comme un bâtiment agricole au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Il n’y a donc pas d’autorisation particulière à obtenir auprès de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ).

Photo : Gracieuseté des PPAQ
Photo : Gracieuseté des PPAQ

Depuis 2019, le Règlement sur l’autorisation d’aliénation ou d’utilisation d’un lot sans l’autorisation de la CPTAQ vient préciser les conditions d’utilisation d’une cabane à sucre du mois de janvier au mois de mai. On y spécifie que l’aire de repos – habitable – doit faire partie du bâtiment de production, être d’une dimension inférieure à l’aire de production et en être distincte. La superficie de plancher permise pour l’aire de repos est aussi détaillée : maximum de 20 m2 pour une exploitation de moins de 5 000 entailles, de 40 m2 pour 5 000 à 19 999 entailles et de 80 m2 pour 20 000 entailles et plus.

« Cela a pour objectif de contrecarrer le phénomène des maisons-cabanes. Auparavant, des gens construisaient des chalets dotés de très petits espaces de production dans le but de demeurer sur place », raconte Michaël Cliche, conseiller acéricole à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (APBB). Le non-respect de ce règlement peut entraîner l’émission d’une ordonnance des tribunaux pour faire cesser l’infraction. « La CPTAQ a même le pouvoir d’obliger la destruction du bâtiment », souligne Pierre-Olivier Girard, conseiller expert en protection du territoire agricole au MAPAQ.

Bye bye folklore?

Michaël Cliche
Michaël Cliche

Il existe autant de cabanes à sucre que de producteurs acéricoles. Selon la complexité de votre projet, des plans et devis d’ingénieur ainsi que des plans d’architecture pourraient être requis. À moins que vous n’ayez l’envie de la construire par vos propres moyens, pour économiser temps et argent? C’est un pensez-y-bien. « Il existe quelques modèles sur Internet, mais ils ne respectent pas nécessairement les standards actuels de la CPTAQ », fait valoir Michaël Cliche, qui déplore du même souffle un certain « flou artistique » en la matière.

Bien conscient de cette lacune, le MAPAQ travaille à l’élaboration d’un document exhaustif afin de la corriger. Si tout va bien, ce dernier devrait paraître d’ici la fin du printemps. « Il ne contiendra pas que des plans en 2D. On y traitera aussi des nombreux aspects auxquels un acériculteur devrait songer avant de
construire », explique David Lapointe. Si la plupart de ces points relèvent du gros bon sens – maximiser la durée de vie utile du bâtiment, optimiser l’espace utile des différentes aires –, tous ne le sont pas nécessairement.

Il faut par exemple songer aux normes d’hygiène et de salubrité, le sirop d’érable étant après tout un produit alimentaire. À ce chapitre, il vaut mieux voir venir les coups à l’avance, l’air du temps étant au resserrement de ces normes. « Avoir des surfaces lavables dans l’aire de production fait de plus en plus figure d’incontournable. Même si ce n’est pas obligatoire à l’heure actuelle, rien ne garantit que ça ne le devienne pas dans les prochaines années », met en garde Michaël Cliche. La norme californienne sur le plomb dans le sirop d’érable s’applique déjà au Québec depuis 2018.

Cela ne signifie toutefois pas la mort de l’érablière traditionnelle, comme celle qui orne les boîtes de conserve de sirop d’érable depuis plus de 60 ans. « Il y a moyen de construire en respectant l’architecture d’antan, surtout pour les plus petites exploitations. Certaines caractéristiques, comme le nombre de cheminées, qui a triplé au fil du temps, sont là pour de bon et pour le mieux », assure David Lapointe. Celles-ci permettent une meilleure évacuation de la vapeur d’eau qui se dégage de l’évaporateur, de même que des émissions de combustibles fossiles si celui-ci fonctionne au gaz.

Parlant de cheminées, il se peut que vos assureurs préfèrent qu’elles soient à une distance minimale des fermes de toit. Même chose pour l’évaporateur; une distance minimale à l’arrière peut être exigée de la part des assureurs, d’où l’importance de les consulter au préalable. Comme la pandémie de COVID-19 l’a rappelé à plusieurs, une entreprise acéricole est soumise à des normes en santé et sécurité au travail. L’aménagement des différentes aires doit tenir compte de cette réalité, entre autres sur le plan du bruit que produisent les équipements de production.

Érablière Pagé-Savard et Filles en construction, à Saint-Alexis-des-Monts.
Érablière Pagé-Savard et Filles en construction, à Saint-Alexis-des-Monts.

De grands principes

La gestion des eaux usées, aussi bien ménagères que celles découlant du procédé de transformation de la sève en sirop d’érable, doit également être prise en considération. Les ouvrages servant à recueillir les premières doivent répondre aux exigences du Règlement sur l’évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées. Les secondes pourraient quant à elles être assujetties à des articles du Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement, mieux connu sous l’acronyme de REAFIE.

On y songe rarement, mais les chemins d’accès et d’exploitation font partie intégrante d’un projet de cabane à sucre. En plus d’être solides et durables, ceux-ci doivent à la fois avoir une excellente capacité d’évacuation de l’eau de surface et limiter l’apport de sédiments dans les cours d’eau environnants. Consultez la publication Saines pratiques d’intervention en forêt privée : guide terrain, 4e édition révisée de la Fédération des producteurs forestiers du Québec afin d’en savoir plus à ce sujet, sur la localisation idéale des chemins forestiers par exemple.

À défaut de règles universelles, de grands principes devraient guider votre démarche, rappelle Anne Boutin, responsable des plans d’érablière à l’APBB et coauteure du Guide d’aménagement des érablières, écrit en collaboration avec Michaël Cliche. « Il faut non seulement construire pour ses besoins actuels, mais aussi futurs. Il y a un juste milieu à trouver afin de pouvoir gérer la croissance de l’entreprise », indique l’ingénieure forestière. Compte tenu de la dimension des équipements acéricoles, il vaut mieux par exemple prévoir de grandes portes.

Autre point auquel penser : la capacité de réserve d’eau d’érable, qui confère une certaine flexibilité à l’acériculteur. Si cette dernière est trop restreinte, une simple avarie technique peut occasionner un débordement des réservoirs, une situation non souhaitable en période de forte coulée de l’eau d’érable. « C’est pourquoi je recommande au minimum un gallon [environ 4,5 L] de réserve par entaille, conseille Michaël Cliche. Aussi, il faut préférablement conserver l’eau d’érable dans une pièce plus fraîche que l’aire de repos, qu’on chauffe souvent à 20 °C. »

Vous vous faites une montagne de tous ces détails et autres nuances? Peut-être que vous devriez alors cogner à la porte d’un professionnel, comme un conseiller acéricole. « Ils seront en mesure de vous guider dans vos démarches et de vous fournir des recommandations personnalisées, sur l’emplacement des différents équipements acéricoles par exemple », dit David Lapointe. Vous gagneriez aussi à consulter d’autres acériculteurs déjà bien établis. « À leur contact, on constate que l’acériculture est autant un art qu’une science », conclut Michaël Cliche, philosophe. 

Maxime Bilodeau, collaboration spéciale


Cet article a été publié dans le magazine Forêts de chez nous de mai 2022