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Les avancées technologiques en matière de phytoprotection sont telles qu’avant longtemps, presqu’aucun spore ou insecte n’échappera à l’œil inquisiteur des caméras multispectrales et autres lecteurs optiques qui examineront les champs. En effet, les outils se raffinent grâce à divers projets de recherche et aux essais menés sur les entreprises agricoles. Bien qu’ils ne puissent se substituer à l’agronome, ils promettent d’offrir de bons coups de main aux producteurs et productrices agricoles.
Les pièges automatisés
L’appareil ressemble à une boîte aux lettres comme on en retrouve par milliers le long des routes de campagne du Québec. Ajoutez-y un orifice en forme de cheminée, une ou plusieurs caméras miniatures dissimulées à l’intérieur de la boîte, avec en plus, installée sur son fond intérieur, une pellicule destinée à y engluer les insectes, et vous obtenez un des modèles de piège automatisé d’insectes ravageurs actuellement installés dans les champs de la province.
« Depuis quelques années, on travaille beaucoup avec les pièges automatisés », indique Julien Saguez, entomologiste et chercheur en biosurveillance au Centre de recherche sur les grains, le CÉROM, dont les efforts se concentrent sur trois espèces de papillons ravageurs : le ver-gris noir, la légionnaire uniponctuée et le ver-gris occidental des haricots. « Habituellement, le réseau de surveillance d’un insecte, c’est simple : ce sont des pièges qui contiennent une phéromone qu’on met à l’intérieur et qui va attirer les insectes », précise l’entomologiste du CÉROM dont le réseau de surveillance compte 30 pièges automatisés disséminés un peu partout sur le territoire du Québec.
Ce qui différencie le piège automatisé de sa version classique tient à une caméra qui permet de capter la présence d’insectes ravageurs dans un champ, de les identifier et de les dénombrer, sans devoir se déplacer. L’information est ensuite envoyée par Wi-Fi, directement sur un téléphone ou un ordinateur. « Ça peut nous permettre, parfois, de devancer le dépistage des insectes dans le champ pour savoir où et quand ils sont présents », souligne Julien Saguez, qui rappelle l’importance d’intervenir tôt dans l’épandage d’insecticide afin de limiter les dégâts que peuvent réaliser les bestioles.
Si la technologie promet, elle demande encore des améliorations, prévient cependant Jean-Philippe Légaré, entomologiste au laboratoire d’expertise et de diagnostic en phytoprotection du MAPAQ. La capacité des systèmes à reconnaître les insectes demeure un enjeu important. « Pour les gros insectes, les algorithmes de reconnaissance développés par les entreprises fonctionnent assez bien », observe l’entomologiste dont les expériences sur les plus petits insectes montrent encore d’importantes limites. « Dans le crucifère, par exemple, on a testé la cécidomyie du chou-fleur, qui est un insecte très, très, très petit, et à ce moment-là, il y a beaucoup plus d’erreurs d’identification qui surviennent », signale le spécialiste.
Les systèmes actuellement développés, en partie grâce à l’intelligence artificielle, présentent toutefois l’avantage d’apprendre de leurs erreurs. « Certains types de pièges utilisent une technologie d’apprentissage profond [deep learning] qui permet d’améliorer l’information qu’on transmet au système pour qu’il raffine sa capacité de reconnaissance des insectes », explique Jean-Philippe Légaré. « On indique au programme les cas où il a eu raison et où il s’est trompé, et avec cette information, le programme améliore son apprentissage et devient de plus en plus fiable. Comme beaucoup d’intrus peuvent pénétrer dans le piège, c’est important de bien reconnaître l’insecte auquel nous avons affaire afin de prendre de bonnes décisions », précise le porte-parole du MAPAQ.
Des lecteurs optiques pour la lutte aux doryphores
À cette sorte de reconnaissance faciale (dorsale, devrions-nous peut-être écrire, puisque le dos des insectes permet souvent de mieux les identifier) appliquée aux insectes, s’ajoute au moins une autre technologie développée par le centre de recherche technologique de Québec INO, en collaboration avec le producteur de pommes de terre Patates Dolbec, de Saint-Ubalde, à mi-chemin entre Québec et Trois-Rivières. « On a un projet qui démarre pour aller détecter la présence de doryphores sur les plants de pommes de terre », explique François Châteauneuf, directeur de l’unité d’affaires Ressources durables, agriculture et infrastructures chez INO. Grâce à des lecteurs optiques, installés directement sur la machinerie et liés aux buses des systèmes d’épandage, l’INO soutient que son outil permettra d’identifier les doryphores et d’appliquer les insecticides en même temps, strictement là où les insectes se trouvent. « Ce qu’on vise, c’est une réduction de 25 % de l’utilisation d’insecticides pour le doryphore. Ce serait majeur pour la pomme de terre », avance François Châteauneuf. La solution sur laquelle se penche l’INO apparaît d’autant plus intéressante à Philippe Parent, directeur qualité et agronomie chez Patates Dolbec, qu’elle lui permettra aussi d’économiser un temps précieux dans sa lutte aux doryphores. « Un doryphore, c’est petit. On ne pourrait pas prendre un satellite ou un drone pour en faire la détection. Ça prendrait des semaines à scanner nos champs, et il serait déjà trop tard pour intervenir et protéger la récolte. »
Quel avenir pour les drones?
La surveillance des champs à l’aide de drones munis d’une caméra multispectrale se répand graduellement chez les producteurs agricoles du Québec. Cependant, le petit aéronef « n’offre pas forcément une solution à tout », prévient Nicolas Deschamps, de l’entreprise Drones des Champs, dont les bureaux se trouvent à Laval. D’abord, parce que l’autonomie de l’appareil reste limitée par la capacité de sa batterie. Ensuite, parce qu’aucun produit chimique n’est encore homologué pour l’épandage par drone au Canada. Selon Nicolas Deschamps, l’avenir de la phytosurveillance des champs, en particulier les grandes surfaces, passe par le satellite. « Les satellites vont être de plus en plus précis. Aujourd’hui, ils ont des définitions d’image de l’ordre du mètre, mais ils vont rapidement descendre dans la décennie qui vient à avoir des définitions de l’ordre du centimètre, par exemple. Ça va répondre à 95 % du besoin de l’agriculture », estime l’entrepreneur, qui voit l’avenir du drone dans des actions ciblées, comme des zones de stress circonscrites dans les champs et sur les terrains plus accidentés, par exemple. « Une fois que des maladies seront ciblées par algorithmes à des endroits précis, alors un épandage par drone sera peut-être plus économique qu’un épandage traditionnel. »
Le LAMP viendra-t-il un jour ici?
LAMP (Loop-mediated isothermal amplification) : une technique d’amplification isotherme, considérée comme une méthode robuste en termes de sensibilité, de tolérance avec des substances inhibitrices présentes dans l’échantillon réel, et qui permet la détection du résultat à l’oeil nu.
La technologie LAMP suscite l’espoir de certains acteurs du monde agricole pour la protection précoce de maladies. Pour eux, le LAMP, qui ne fait l’objet d’aucune utilisation au Québec en ce moment, offrirait une solution de rechange avantageuse aux très coûteux tests PCR réalisés en laboratoire. Hervé Van der Heyden, chercheur en phytopathologie chez Phytodata, croit ces espoirs démesurés pour le moment. « L’avantage du LAMP, c’est qu’il n’est pas très coûteux, ce qui fait que des conseillers ou des agronomes pourraient avoir ce type de technologie-là dans leur bureau ou leur camion, s’il est propre », explique le chercheur. Actuellement, Hervé Van der Heyden voit l’intérêt du LAMP dans les services prédiagnostics qu’il peut offrir. « Un conseiller qui ne serait pas certain de son diagnostic visuel au champ pourrait utiliser le LAMP pour améliorer sa lecture de la situation », illustre le chercheur qui s’intéresse à cette technologie pour la détection précoce des maladies dans les fraisières.
Source : INRS
Claude Fortin, collaboration spéciale