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J’assistais récemment à une réunion virtuelle rassemblant des intervenants à travers le Canada. Lorsque la discussion est passée à l’orge, la représentante d’une multinationale canadienne a fait le commentaire suivant : quand le marché des grains est en feu, la distinction entre l’orge fourragère et brassicole devient floue et très flexible. Puis, elle a ajouté que son commentaire était off the record.
Certes, aucun représentant de l’industrie ne voudrait être cité tel quel, mais ce qu’elle a dit est un fait bien connu des professionnels, et ce n’est pas un secret pour de nombreux producteurs. Le marché, au sens large, se doit d’être flexible. L’industrie est sous une pression constante pour améliorer ou, à tout le moins, préserver ses marges de profits : elle n’a d’autre choix que de s’adapter lorsque les prix des ressources premières explosent et que certains critères qualitatifs deviennent très coûteux ou difficiles à respecter. Les procédés industriels s’adaptent à la réalité de la matière première.
L’exemple du blé panifiable
À la base, il faut réaliser que la distinction entre le grain destiné à la consommation animale et celui pour la consommation humaine est largement arbitraire, à l’exception des critères phytosanitaires affectant la santé, tels que les toxines, etc. Je vais prendre pour exemple le blé panifiable. L’indice de chute est un indicateur relativement précis de la germination et, par conséquent, de la qualité d’utilisation finale du blé. Mais tout dépend des pains que vous voulez produire et de vos procédés de boulangerie. Par conséquent, l’indice de chute minimal requis est de 300 pour un marché haut de gamme comme le Japon et de 275 au Canada. Dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, ils acceptent couramment des indices de chute de 220, et parfois aussi bas que 180. C’est que leurs consommateurs sont moins exigeants et les types de pains qui sont consommés ne requièrent pas des farines de grande qualité. Le meilleur exemple est le pain pita : à la limite, quasiment n’importe quel blé peut produire un pain pita très correct, pourvu que le boulanger soit le moindrement habile…
Par ailleurs, les industriels ont une batterie de produits à leur disposition pour contrecarrer une matière première déficiente. Ainsi, les boulangeries disposent d’une gamme très large d’améliorants de panification pour pallier au besoin les déficiences d’une farine de qualité moindre – le gluten de blé fait des miracles pour booster une farine! En fin de compte, souvent, le consommateur moyen ne remarquera pas de changements à son pain habituel même si la qualité intrinsèque est affectée.
Toute bonne chose a une fin
Les producteurs doivent donc réaliser que les critères qualitatifs des acheteurs de grains ne sont pas figés dans le ciment. Le problème est qu’on entre ici dans une zone grise parce que ces mêmes critères restent souvent inchangés dans les contrats de vente. C’est au producteur qui a du grain de qualité « incertaine » de contacter au besoin plusieurs acheteurs pour le vendre à une plus-value, ce qui, dans un marché surchauffé tel qu’on le connaît, n’est pas trop difficile. Et si le contrat a déjà été signé, quand vient le moment de la livraison, l’acheteur va bien souvent accepter le grain tel quel pour ne pas risquer de le perdre au marché fourrager.
Mais les producteurs doivent aussi réaliser que toute bonne chose a une fin. Tôt ou tard, le marché des grains va se rééquilibrer, la frénésie des prix va retomber; peut-être aussitôt que la prochaine récolte. Dans ce cas, ils ne devraient pas être surpris ou énervés si les critères qualitatifs se resserrent. En fait, les acheteurs vont tout simplement se remettre à appliquer les normes usuelles, ce qui amènera des déclassements de voyage. Certains producteurs affectés crieront à l’injustice, mais le marché n’a que faire de la justice…
Ramzy Yelda, analyste principal des marchés, Producteurs de grains du Québec
Cet article a été publié dans le cahier GRAINS de mars 2022