Vie rurale 10 mars 2022

« La machine a avalé mon bras »

Patrick Vézina, un ancien producteur laitier de L’Isle-aux-Grues, dans Chaudière-Appalaches, a perdu un bras en 2015. C’est le vent qui a scellé son sort ce jour-là en poussant son manteau dans l’engrenage d’un équipement agricole qu’il se préparait à graisser alors que le moteur de son tracteur était en marche.

« Je n’ai pas été capable de l’enlever ou de déchirer [le manteau]. La machine a avalé un de mes bras. J’ai rentré dedans et j’ai fait un effort épouvantable pour me ressortir avec l’autre bras, parce que je savais qu’il n’y avait personne pour arrêter le moteur du tracteur », raconte avec émotion M. Vézina. Croyant d’abord s’en être sorti indemne, il a rapidement réalisé que l’un de ses bras n’avait pas suivi. « Le bouton panique s’est allumé, et j’ai compris que je ne pourrais plus jamais faire ce travail, que je devrais vendre ma ferme », laisse-t-il tomber. Depuis ce jour, il évite d’aller dans les encans ou dans les expositions agricoles. « Ça vient trop me gruger par en dedans », confie celui qui regrette de ne plus pouvoir pratiquer le métier qu’il aimait.

Ce témoignage coup de poing fait partie d’une série d’une vingtaine de vidéos poignantes lancées sur YouTube par le Syndicat de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de L’Islet, en prévision de la Semaine de la santé et de la sécurité à la ferme, qui se tient du 13 au 19 mars. « On a eu plusieurs accidents qui ont coûté la vie à des producteurs de la région depuis deux ans. Je ne sais pas si c’est un nombre plus élevé qu’ailleurs, mais pour nous, c’est beaucoup », explique la conseillère en vie syndicale Claire P. Beaulieu.

Des victimes d’accidents de ferme ont accepté de raconter comment ils sont passés à deux doigts de la mort. Certains ont eu des problèmes avec de la machinerie; d’autres ont été pris pour cible par des animaux devenus soudainement incontrôlables. C’est ce qui est arrivé à la productrice Martine Jacques, de la ferme laitière Stéphane Pelletier à Saint-Pamphile, qui a subi une commotion cérébrale après avoir protégé son enfant d’une vache devenue agressive. « J’en ai eu pour trois ans à avoir mal à la tête, et cinq ans au cou », confie la productrice, qui ne sort désormais plus les animaux des enclos sans un équipement de protection. 

Le projet a été financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) dans le cadre du Programme d’appui au développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire en région. Le Ministère a aussi participé techniquement à la production de ces vidéos. Les capsules ont été mises à la disposition des autres syndicats régionaux de l’UPA comme outils de prévention. 

Pour visionner les vidéos : bit.ly/3Kb0Fcv


Une génétique moins adaptée à la stabulation libre

L’adoption croissante de la stabulation libre en production laitière a provoqué plus d’accidents impliquant des animaux agressifs, rapporte le producteur bovin Daniel Lajoie, copropriétaire de l’Élevage du petit veau à Sainte-Hélène-de-Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent, dans l’une des capsules vidéo produites pour souligner la semaine de santé et de sécurité à la ferme. Le producteur, qui est également consultant auprès des fermes bovines, explique la situation par la sélection génétique des vaches laitières, qui contrairement aux bovins de boucherie, n’a jamais pris en compte le critère de docilité de l’animal, puisque ce dernier était auparavant attaché. Il invite d’ailleurs les producteurs laitiers à se méfier de leurs animaux, même de ceux qui ont toujours été calmes, et à informer leur entourage de ce danger potentiel.


La sécurité rentable en contexte de pénurie de main-d’œuvre

La prévention des accidents à la ferme est toujours importante, mais sa rentabilité devient encore plus évidente en contexte de pénurie de main-d’œuvre, souligne François Granger, conseiller expert en prévention dans le milieu agricole pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). « Ça permet entre autres de garder le personnel clé au travail, en plus d’aider à l’attraction et à la rétention de main-d’œuvre », a-t-il spécifié dans le premier d’une série de quatre webinaires présentés en février par l’Union des producteurs agricoles (UPA) dans le cadre de son colloque annuel sur la santé et sécurité en milieu agricole. Le producteur porcin et bovin René Roy, copropriétaire d’une ferme bovine et porcine à Saint-Jules, dans Chaudière-Appalaches, a quant à lui témoigné de l’importance de la sécurité « au jour le jour », même dans une ferme familiale. « On n’a pas d’employés à la ferme, mais ce n’est pas une raison pour ne pas être soucieux », a-t-il souligné, en ajoutant qu’ils devaient prendre les mesures nécessaires pour pouvoir continuer à travailler. « Car c’est plus dispendieux de ne pas pouvoir faire le travail qu’on aime que d’investir pour la santé », a fait valoir le producteur.