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Des transformateurs remettent en question certains mécanismes d’ajustement de prix du lait au Canada qui les contraignent, jugent-ils, à soutenir le développement de marchés moins payants comme celui de la transformation secondaire, qui comprend par exemple la production de beurre servant à la fabrication de biscuits ou de croissants.
« Depuis 2015, la croissance au pays sur les volumes de lait a été générée par les classes [moins payantes] qui n’assurent pas un revenu à la ferme permettant de couvrir les coûts de production », fait valoir Luc Boivin, directeur général de la Fromagerie Boivin, à Saguenay. La Commission canadienne du lait (CCL) confirme que les marchés de la transformation secondaire auxquels fait référence M. Boivin ont représenté 54 % de la croissance du quota canadien depuis 2016-2017.
Les acheteurs qui s’approvisionnent dans les classes spéciales paient leur matière grasse moins cher que les transformateurs qui s’approvisionnent dans les classes régulières pour la fabrication de yogourts, de crème, de lait de consommation ou de fromages, comme Luc Boivin. Or, la hausse du quota générée par les marchés moins payants, plaide le fromager, influence à la baisse le revenu moyen du producteur à la ferme, entraînant parfois des ajustements de prix du lait qui seraient assumés par les transformateurs en classes régulières tels que lui. « Quand il y a des annonces d’ajustement de prix, c’est seulement les produits de commodité [classes régulières] qui assument l’augmentation de prix à la ferme. Les classes spéciales, elles, sont impactées par les prix mondiaux [et américains], exprime-t-il. Ce sont les producteurs qui développent les marchés, mais je devrais avoir mon mot à dire. […] Si tu décides de faire du lait en bas des coûts de production pour alimenter ces marchés, ne redirige pas l’impact de ces décisions-là vers moi », soutient-il.
Luc Boivin précise toutefois comprendre que les hausses de prix du lait visent aussi à pallier l’augmentation des coûts de production à la ferme résultant de la hausse du prix des intrants, et que dans ces cas-là, elles sont justifiées.
Une demande à combler
La directrice des services intégrés à la CCL, Chantal Paul, rappelle de son côté que la gestion de l’offre doit répondre à la demande dans les différents marchés. Les classes spéciales, dit-elle, représentent une importante demande qui doit être remplie. Elle souligne aussi que la croissance du quota canadien générée par ces classes sera peut-être moins accrue dans les prochaines années, en raison de l’augmentation des importations découlant des accords commerciaux qui pourraient combler une partie de la demande. Elle spécifie que 2016 était une année exceptionnelle, car le Canada a manqué de matière grasse et qu’il a dû en importer pour subvenir aux besoins de la transformation secondaire. Il est donc normal, affirme Mme Paul, que la croissance dans les classes spéciales ait crû de façon importante dès l’année suivante. Les analyses sur 20 ans de la CCL montrent que l’utilisation de la matière grasse dans les classes spéciales représente plutôt 20 à 30 % de la croissance totale.
Vision partagée par d’autres transformateurs
Le directeur général du Conseil des industriels laitiers, Charles Langlois, et le président-directeur général de l’Association des transformateurs laitiers du Canada, Mathieu Frigon, précisent à La Terre que leurs membres partagent la vision de Luc Boivin, à savoir que la croissance dans les classes spéciales ne devrait pas engendrer d’augmentations de prix dans les classes régulières. « Le développement des classes spéciales, ça permet d’avoir plus de quotas et de faire plus de lait, sauf que ce sont les classes [régulières] qui les supportent. Un élément du système est à revoir, parce que ça crée de la pression sur les entreprises seulement dans les marchés domestiques », souligne Charles Langlois.
« Ça, tout le monde est d’accord, ajoute Mathieu Frigon. Cet aspect-là fera certainement l’objet de discussions lors de nos prochaines négociations [avec les producteurs] », dit-il.
Contactés par La Terre, les Producteurs de lait du Québec ont préféré s’abstenir de commenter le sujet, puisque les mécanismes d’ajustement de prix dans les classes régulières découlent d’une entente négociée entre les producteurs et les transformateurs, dont le renouvellement est prévu en 2023. Les Producteurs de lait du Canada ont formulé une réponse similaire, ajoutant qu’il importe de ne pas confondre la perspective d’un transformateur avec celle de l’industrie.
L’enjeu des surplus de solides non gras La Commission canadienne du lait dit travailler actuellement à trouver de nouveaux marchés plus payants pour les surplus de solides non gras qui augmentent et qui affectent à la baisse le revenu moyen des producteurs. « Il n’y a pas que la croissance dans les classes spéciales qui affecte le revenu, il y a tout l’enjeu des surplus structurels aussi », fait valoir la directrice des services intégrés, Chantal Paul, soulignant que les solides non gras sont souvent destinés à l’alimentation animale, qui est un marché peu lucratif. Elle met aussi en lumière les limites de capacité de séchage du lait écrémé liquide pour la conservation. |