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Alors que le réchauffement climatique se fait déjà bien sentir au Québec, une culture en particulier sort gagnante de cette succession d’étés plus chauds et plus longs : la viticulture. Toutefois, comme dans tous les types de cultures, les producteurs sont à la merci des cocktails météo et doivent être prêts à s’y adapter, été comme hiver.
« Moi, j’avais dit qu’à l’Orpailleur, on ne planterait jamais de rouge. Aujourd’hui et depuis quelques années, on fait du rouge! On a récolté la semaine dernière [entre le 11 et le 15 octobre] du cabernet franc, ce qu’on n’aurait jamais pensé planter au Québec », s’exclame d’entrée de jeu Charles-Henri de Coussergues, cofondateur du Vignoble de l’Orpailleur.
Situé à Dunham, dans les Cantons-de-l’Est, ce vignoble a été témoin de 40 ans de changements climatiques. La saison chaude, entre le dernier gel du printemps et le premier gel d’automne, est aujourd’hui plus longue d’environ 50 jours. Les températures sont aussi plus chaudes : les degrés-jours, soit l’addition des températures quotidiennes qui dépassent de 10 °C le « zéro végétal », température minimale pour la survie des végétaux, pendant la saison chaude, varient maintenant entre 1275 et 1300 par année. En 1982, lors de la fondation de l’Orpailleur, la moyenne était de 950 degrés-jours.
Un climat instable
Qui dit changements climatiques dit réchauffement, mais surtout instabilité. Alors que le Québécois moyen se réjouit d’abandonner son manteau dès avril, le printemps est une période d’incertitude et d’angoisse chez les viticulteurs. « Une épée de Damoclès au-dessus de la tête » : voici l’image que la professeure Karine Pedneault, du Département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais, a en tête lorsqu’elle fait allusion à la grande place qu’occupe la météo pour les producteurs. Les vignes, qui commençaient à pousser à la mi-mai il y a 40 ans, amorcent aujourd’hui leur floraison vers fin avril. « On a des hivers de plus en plus en dents de scie, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable », reprend le copropriétaire de l’Orpailleur. « On a connu des 20, 22 degrés fin mars… C’était dangereux parce qu’effectivement, il est arrivé ce qui devait arriver : la vigne était en éveil et il s’en est suivi deux épisodes de gel à la fin avril et au mois de mai », poursuit-il. Ces fluctuations de température peuvent compromettre les arbres et par le fait même entraîner la saison sur une pente glissante.
Karine Pedneault précise que lorsque la période de gel s’étale jusqu’en mai, comme c’est le cas depuis quelques années, c’est la récolte entière qui est mise en péril. « La vigne va être capable de récupérer et va repartir sur un autre bourgeon, mais le temps qui a été perdu est perdu pour toujours », dit-elle pour illustrer que le décalage de la saison a des effets directs sur la qualité du vin.
Les hausses de température font également en sorte que les producteurs de toutes les cultures sont aux prises avec des locataires insolites dans leurs plants : de nouveaux insectes venus du Sud. Bien qu’ils soient indésirables, ces ravageurs constituent une conséquence des changements climatiques assez simple à traiter, grâce aux pesticides. « C’est un élément sur lequel on a le contrôle tandis que quand c’est le gel qui nous tombe dessus, il n’y a rien à faire », constate la professeure.
Ventiler pour mieux prospérer
Pour demeurer dans la cour des grands, le vignoble de Charles-Henri de Coussergues se tourne vers des systèmes de ventilation équipés d’un moteur au propane. Ces ventilateurs permettent de brasser l’air en poussant l’air chaud, plus léger que l’air froid, vers le sol. C’est le moyen qu’ils ont trouvé pour réduire les chocs thermiques subis par les vignes, alors que la température au sol peut être de 3 à 4 degrés plus basse que celle à une vingtaine de pieds plus haut.
Ce vignoble n’est pas le seul à s’être tourné vers cette solution, mentionne son copropriétaire. « De plus en plus de vignerons au Québec s’en équipent. En Ontario, il y en a partout. Aux États-Unis aussi; dans l’Oregon et dans l’État de Washington. » M. de Coussergues a remarqué un impact positif sur la qualité du produit qui n’aurait pas été possible si la nature n’avait pas brassé les cartes. « On a appris à apprivoiser notre climat », estime le viticulteur en se réjouissant de pouvoir offrir à sa clientèle québécoise des cépages européens.
Une qualité supérieure
Charles-Henri de Coussergues précise que les changements climatiques restent beaucoup plus bénéfiques que néfastes pour l’industrie viticole du Québec. « Ç’a un impact important sur la qualité de nos produits », dit le viticulteur, qui mentionne que le climat plus chaud permet la culture d’une plus grande variété de cépages. Les vignes parviennent aussi à une « meilleure maturité, avec plus de sucre dans le vin, moins d’acidité ».
Même en se butant aux périodes de redoux durant l’hiver, aux pluies de janvier et aux sécheresses de juillet, les vignerons québécois arrivent à fournir un produit de qualité comparable à ceux produits dans les vieux pays viticoles. Karine Pedneault dit que la mentalité des Québécois face à la qualité des vins d’ici est en changement : « Quand on pense à un bon vin, on pense au sud de la France, on pense à l’Italie; des régions plus chaudes. Mais maintenant, comme nous cultivons les mêmes cépages ici, ce niveau d’excellence est également atteignable. »
« On peut briser les préjugés et montrer aux consommateurs qu’on est capable de faire des vins à un standard international », renchérit Charles-Henri de Coussergues. Leur pari est déjà en train de se réaliser : l’industrie d’ici est en plein essor, et le consommateur est au rendez-vous. « Les vignerons québécois n’arrivent pas aujourd’hui à répondre à la demande, ajoute-t-il. Je ne m’en plains pas ! »
Par Alizée Balleux et Mathilde Cloutier
Cet article a été produit en association avec le cours Quête de sens journalistique, animé par Jean-François Gazaille à l’Université du Québec à Montréal