Vie rurale 24 décembre 2021

Le dinde* de Noël qui se prenait pour un coq

Le dinde se réveille de mauvaise humeur. Encore un autre matin gris où il digère difficilement sa moulée. Il regarde autour de lui, et les mille autres dindes lui sont identiques.

Toutes ont les mêmes plumes jaunâtres, les mêmes yeux vitreux, les mêmes mouvements saccadés… Mâles et femelles se confondent physiquement. Tous comme des clones.

Mais Le dinde veut être différent. Il en a marre d’être un ­dindon banal qu’on voit comme une farce. Il veut se ­démarquer. Alors, Le dinde bombe le torse et se dit qu’il devient désormais un coq.

Il surprend tout le monde en poussant son cri. Il prend son élan, saute sur la tête d’un autre dindon, saute ensuite sur la mangeoire et s’envole par-dessus l’enclos de la ferme.

« La liberté n’est effectivement pas qu’une marque de yogourt », se réjouit Le dinde, qui a lu tous les livres du ­révolutionnaire Pierre Falardeau.

Le dinde prend le temps de regarder ses semblables à travers la clôture, gratte le sol en levant la tête vers le ciel et pousse un long glou-glou-glou triomphal.

Le dinde en profite ensuite pour faire ce qu’il a toujours rêvé : il laisse sa marque sur le perron de la maison du fermier, il grignote un brin d’herbe et vole vers le ruisseau. Après avoir englouti quelques bonnes lampées d’eau, Le dinde se ­
rappelle qu’il veut être unique. Il veut être Le coq. Alors, Le dinde se regarde dans le reflet de l’eau, il replace ses plumes pour masquer son début de calvitie et retourne à la ferme d’un pas décidé.

Près de l’enclos, il attire l’attention en battant des ailes, saute sur le capot du tracteur et bondit par-dessus la clôture pour atterrir dans l’enclos.

Les autres dindons le regardent, stupéfaits.

Le dinde n’entend pas en rester là. Il veut leur montrer qu’il est devenu un coq.

Il saute alors sur le dessus d’un piquet. Il rentre ses longues griffes beiges dans le bois. Il étire ses ailes, il se sent fort. Il rentre encore plus profondément ses griffes dans le bois.

Il glougloute, il pousse son cri.

Il agite ses ailes.

Il rentre ses griffes avec plus de force.

À tel point que le dessus du piquet s’effrite.

Mais, Le dinde en rajoute, il serre les griffes, il pousse son cri.

Il se sent lion, il se sent mammouth, il se sent coq.

Puis, il perd pied.

Et tombe.

Et meurt. 


Les illustrations et dessins ont été réalisés par Judith Boivin-Robert.

Pour entendre ce conte en version audio, écoutez notre balado Le son de La Terre, édition spéciale de Noël.

Ce conte a été rédigé et publié dans le cadre de notre cahier spécial des Fêtes, publié le 22 décembre 2021.

* Ceci n’est pas une faute, mais un clin d’œil au regretté entomologiste Georges Brossard, qui a grandi dans une ferme et avait l’habitude d’accorder le mot dinde au masculin.