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C’est un constat que posent de nombreux spécialistes et qui est repris par un nombre croissant de producteurs agricoles : il faut produire plus de foin.
« C’est vraiment la clé pour une plus grande autonomie en matière d’alimentation à la ferme, lance sans ambages l’agronome Guy Forand, spécialiste en plantes fourragères chez Bélisle Solution Nutrition. Quand on produit ce que les vaches mangent, on est moins sujet aux fluctuations. »
Les spécialistes en la matière et les adeptes de la production fourragère le disent en cœur : les plantes fourragères pérennes sont vraiment les parents pauvres des productions végétales, pourtant essentielles pour la qualité de l’alimentation des troupeaux laitiers, alors que les situations de pénurie s’accentuent. « D’autres changements attendus pourraient occasionner de nouvelles pénuries de foin si les producteurs ne s’y préparent pas adéquatement, explique Jean-Philippe Laroche, professionnel en nutrition et fourrages chez Lactanet.
Les changements climatiques vont entraîner une diminution de la survie à l’hiver, principalement dans les légumineuses. » Cette situation de parent pauvre est accentuée par la rude concurrence des productions de maïs et soya qui se transigent à « prix d’or ». Guy Forand est persuadé que les producteurs font une grave erreur en négligeant la production de fourrages au profit du tandem maïs/soya. Favoriser la production de fourragères pérennes se répercute à trois niveaux : la qualité de l’alimentation et le rendement du troupeau laitier, l’impact sur les sols ainsi que sur le plan économique de l’entreprise.
Pour la qualité de l’alimentation et la santé des sols
Là-dessus, les spécialistes sont unanimes : les fourrages sont à la base d’une alimentation de qualité principalement en raison de la physionomie de la vache avec son rumen qui convertit en lait les matières ingérées. « Le travail de cet organe de digestion est optimisé avec un mélange de graminées/légumineuses par rapport à une ration de maïs ensilage dans lequel il y a des grains, explique Guy Forand. C’est clair que si l’on veut des animaux en meilleure santé, plus productifs et pour plus longtemps, ça se fait en favorisant une alimentation avec des rations élevées en fourragères pérennes, en combinant les graminées pour l’énergie et les légumineuses pour la protéine. »
Si favoriser un apport en fourrages a des impacts positifs importants à l’étable, il en a aussi dans le champ. « Le foin nourrit aussi la terre et l’air », lance Valérie Poulin, copropriétaire avec son conjoint de la Ferme Valbois, important producteur de fourrages. « La production de maïs/soya, c’est beaucoup de travail du sol, la perte de minéraux et la production de gaz à effet de serre, dit-elle. On dénature le sol. » Son entreprise va produire cette année environ 150 000 balles de foin, soit 20 000 de plus que l’an dernier, principalement en raison de l’achat de nouvelles terres qui porte à 250 hectares la superficie cultivée, en plus d’une superficie équivalente sur des terres louées, ensemencées de graminées, de mil, de fétuque et de ray-grass.
Les producteurs utilisent principalement un mélange de mil et de fétuque. « Il ne faut pas hésiter à essayer le bon mélange pour la bonne prairie », explique Valérie Poulin. Elle sait de quoi elle parle puisque certains de ces essais n’ont guère été concluants. « On a essayé le festulolium qui fait sans doute un bon foin pour l’ensilage, mais pas pour faire du foin sec justement parce qu’il sèche mal. On l’a essayé et ça n’a pas été concluant pour nous, mais il ne faut pas hésiter à faire des essais. »
L’agronome Guy Forand rappelle également l’apport des plantes fourragères pour la qualité des sols. « Même en rotation avec le maïs et soya, dit-il. La chance d’avoir des prairies, c’est fabuleux pour la qualité des sols parce que lorsque la plante fourragère s’installe pour quatre ans, elle va développer un système racinaire profond et diversifié qui sera bénéfique pour la terre. »
Les producteurs ont aussi tout intérêt à accroître leur production de fourrages pour sécuriser les approvisionnements d’intrants et se protéger des aléas climatiques et économiques. « Ça rend la ferme plus résiliente, dit Guy Forand. Il faut que les producteurs se donnent la capacité d’être moins fragilisés par un environnement économique difficile ou des conditions climatiques défavorables. On l’a bien vu ces dernières années avec les pénuries dans plusieurs régions. »
Évaluer ses besoins
L’agronome conseille aussi aux producteurs laitiers de bien évaluer les besoins alimentaires de leur troupeau. « Vous seriez surpris de savoir combien de producteurs ne connaissent pas vraiment leurs besoins en fourrages. Les producteurs devraient avoir une réserve alimentaire équivalant à une fois et demie les besoins du troupeau, justement pour éviter d’être fragilisés lorsque surviennent des coups durs. » Dans la même veine, Jean-Philippe Laroche recommande aux producteurs d’élaborer un « plan de crise ». « Ce plan pourra comprendre à la fois des stratégies aux champs pour augmenter les stocks [on peut penser aux fourrages d’urgence] et des stratégies à l’étable pour réduire les besoins, par exemple en réduisant le gaspillage. »
De nombreux producteurs ont été plongés dans un tel marasme ces dernières années, et Valérie Poulin peut en témoigner. « Toute notre production est vendue, dit-elle. Je suis certaine que si on produisait davantage, on réussirait quand même à tout écouler. On nous a même dit qu’on ne vendait pas assez cher et qu’on pourrait monter nos prix. Pour nous, il n’est pas question de profiter du malheur des autres. » Les voix se font sans cesse plus nombreuses pour inviter les producteurs à y réfléchir à deux fois avant de négliger la production de fourrages en succombant à l’attrait de productions en apparence plus « profitables ». Parce qu’en raison de leur impact sur le rendement du troupeau laitier, il n’y pas une production qui va donner un revenu aussi important.