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Les changements climatiques ont des impacts sur le rendement des cultures et forcent les agriculteurs québécois à changer leurs pratiques. C’est le cas de Patates Dolbec, qui a décidé d’implanter un système d’irrigation dans ses champs. La technologie, fonctionnelle depuis l’été dernier (2020), est le début d’un ambitieux projet qui s’échelonnera sur 10 ans avec des investissements annuels de 1 à 2 millions de dollars. Retour sur les étapes ayant mené à la mise en place du projet.
À Saint-Ubalde, dans la MRC de Portneuf, les bureaux du plus grand producteur de patates de l’est du Canada sont faciles à trouver. C’est à cet endroit que travaille l’agronome Juliette Lévesque, responsable du projet d’irrigation.
« Depuis plusieurs années, l’entreprise en parlait sans pour autant agir », explique-t-elle. Le manque de main-d’œuvre et le coût élevé de l’irrigation créaient des réticences au sein de Patates Dolbec. « L’entreprise n’était pas prête à passer à l’action et il manquait surtout quelqu’un qui allait porter le projet », résume celle qui a accepté le défi vers la fin de l’année 2017.
Gérer les aléas météorologiques
« Si on a choisi d’irriguer, c’est pour gérer les risques [climatiques], parce qu’il va arriver un été qu’il ne pleuvra pas et l’entreprise va être à risque », explique Juliette Lévesque.
« Des études ont démontré qu’à cause des changements climatiques, la quantité d’eau d’année en année ne changera pas trop, mais ce qui va changer, c’est la fréquence des pluies. La plupart du temps, elles n’arriveront pas au moment où la culture en a besoin », soulevait d’ailleurs Silvio José Gumiere, de l’Université Laval, lors d’un Colloque sur l’irrigation organisé en février par le CRAAQ. Celui-ci présentait le projet Irrigation de précision et gestion intégrée de l’eau en production de pomme de terre, dont il est le chercheur principal.
« L’été dernier, on a eu beaucoup de pluie au mois d’août, confirme Mme Lévesque, mais pas du tout en mai et juin, et c’est une période critique pour la pomme de terre, car c’est à ce moment qu’elle fait ses tubercules. » Un stress hydrique de plus de 48 heures sur la plante pourrait causer une perte de rendement potentiel de l’ordre de 25 à 35 %, selon M. Gumiere. Irriguer coûte cher, mais « c’est sûr que ça va être profitable », pensait-on chez Patates Dolbec. C’est donc avec assurance que le projet d’irrigation a été mis en branle au printemps 2018.
Planifier l’irrigation
La réussite de l’irrigation dépend de choix initiaux stratégiques assurés par la planification. Elle permet d’établir les besoins de l’entreprise en irrigation et de s’assurer d’optimiser celle-ci. « La planification, c’est l’étape primordiale, explique Juliette Lévesque. C’est à ce moment-là qu’on va décider où on va prendre l’eau, choisir les bons équipements, mais aussi déterminer nos besoins en eau, faire un budget, calculer les superficies à irriguer. Ce sont des choses auxquelles il faut penser à l’avance quand on décide de s’embarquer dans l’irrigation. »
Mme Lévesque contacte alors Carl Boivin, agronome spécialisé en gestion de l’irrigation à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). Entre 2019 et 2020, l’IRDA a effectué différents projets dans les champs de Patates Dolbec, comme l’analyse du mouvement de l’eau dans le sol. « On avait pour objectif de trouver un moyen d’améliorer l’autonomie entre deux apports en eau », explique Jérémie Vallée, agronome à l’IRDA, alors qu’il décrit sa butte « 2.0 ».
Les recherches de l’IRDA chez Dolbec ont contribué au choix d’une technologie d’irrigation appropriée, soit par aspersion à pivots, et à la gestion efficace de celle-ci. « Ça nous a aidés à savoir quels champs étaient à irriguer en priorité », ajoute Juliette Lévesque.
Se munir des autorisations
Le captage d’eau dans les cours d’eau doit être autorisé par un certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). Remplir cette demande équivaut à « démontrer au MELCC que l’option qu’on a choisie est celle qui aura le moins de risques sur l’environnement », résume Juliette Lévesque.
Pas plus de 15 % du débit d’étiage (plus bas niveau des eaux) ne peut être soutiré du cours d’eau lors d’une irrigation, et cette mesure tient compte de plusieurs années. « Si je prends la rivière Sainte-Anne, clarifie Mme Lévesque, ça veut dire qu’on ne peut pas prélever plus de 15 % du débit du plus bas niveau des 25 dernières années. » Le choix de se tourner vers une technologie d’irrigation à basse pression d’eau comme celle de pivots est judicieux, selon cette dernière, pour une gestion pérenne de la ressource. « J’avais à cœur de ne pas gaspiller d’eau. » Pour certains cours d’eau, les données hydriques exigées par le MELCC sont inexistantes. Le demandeur doit alors s’en charger.
Mettre en œuvre
Chez Patates Dolbec, les infrastructures sont venues des États-Unis en période de COVID-19. Les pivots ont dû être assemblés sans le soutien technique prévu. « Ç’a été tout un défi! » lance Juliette Lévesque. La mise en œuvre a impliqué la construction de stations de pompage d’eau (électriques) et d’une canalisation sous-terraine de tuyaux en polyéthylène haute densité pour acheminer l’eau aux champs. « Avec notre main-d’œuvre limitée, on est allés vers des options avec moins d’entretien, mais plus dispendieuses. » Le système de pivots est fonctionnel depuis juin 2020. Quatre irrigations ont été nécessaires, sur environ 500 acres de terres. « Dans un horizon de trois à cinq ans, on voudrait irriguer 50 % de nos champs de pommes de terre », précise Juliette Lévesque.
Intelligence artificielle
Pour obtenir le plus de précision possible en utilisant les systèmes d’irrigation et leurs infrastructures technologiques, l’intelligence artificielle joue un rôle fondamental. D’importants projets de recherche sont en cours, dont celui de Silvio José Gumiere, entre autres, soutenu par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). Spécialisé en hydro-informatique agricole, il développe un pilotage de l’irrigation basé sur l’intelligence artificielle. « Ce qu’on essaie de bâtir dans mon équipe de recherche, ce sont des modèles prévisionnels », explique-t-il. Grâce à des probabilités de pluie, de hautes températures, d’évaporation, etc., un algorithme déciderait de la nécessité d’irriguer, informant même du risque, en pourcentage, de la perte de rendement due à un stress hydrique. « On va vers ce côté-là. C’est la base de nos recherches. »
L’autonomisation des systèmes d’irrigation demeure le principal défi aujourd’hui chez Patates Dolbec, confirme Juliette Lévesque. Pour ce qui est des défis de demain, ils seront « vraiment au niveau de la qualité de l’eau et de la quantité de l’eau disponible », conclut-elle.
Emilie Nault-Simard, collaboration spéciale