Actualités 26 septembre 2014

Pour l’amour des Jersey

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Par Jean-Charles Gagné – Daphné a décidé de plonger dans l’aventure de la production laitière, même si elle n’est pas du millieu.

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C’est possible de se lancer en production laitière au Québec sans reprendre la ferme familiale. À 21 ans, Daphné Labelle, une jeune femme opiniâtre et passionnée d’agriculture, en fournit une autre preuve convaincante avec le démarrage en décembre 2010 de son entreprise, baptisée Artisalait Rosie.

Cette amoureuse des Jersey pur-sang a réussi cette opération délicate, sans bénéficier du prêt de 12 kg de quota offert par la Fédération des producteurs de lait du Québec (FPLQ) aux nouveaux venus en production laitière. «C’était trop serré dans le temps pour mon plan d’affaires! Il fallait que je décolle à tout prix», a déclaré Daphné à la Terre, qu’elle avait elle-même invitée, le 20 janvier dernier. Pourquoi Artisalait Rosie? «C’est un jeu de mots qui fait référence au développement durable et à une éventuelle transformation artisanale de mon lait, en beurre ou en crème glacée.» Quant à Rosie, c’est la première vache qu’elle a achetée à l’âge de deux jours, pour 25 $, et qui est toujours la seule Ayrshire du troupeau. «Mon amour de vache maintenant âgée de six ans, ne pouvait pas ne pas apparaître dans le nom, elle qui m’a donné cinq veaux!»

Virage vers le lait

Originaire de Sainte-Sophie-de-Mirabel, Daphné est fille d’agricultrice. Sophie, sa mère, y exploite un élevage de lapins, Le Divin Clapier, avec des races pour la viande et d’autres pour la fantaisie. «Toute jeune, j’adorais les lapins. Je me suis beaucoup impliquée dans l’élevage. Je touchais une part du profit tiré de la vente de lapins sous ma responsabilité.» Daphné a conservé une dizaine de lapins nains néerlandais, ses préférés, dans son étable louée.

C’est durant ses études en gestion et exploitation d’entreprise agricole (GEEA), au Collège Lionel-Groulx, que Daphné a bifurqué vers la production laitière. «Les profs disaient que c’était faisable de créer sa ferme laitière, bien qu’il faille travailler très fort. Plusieurs personnes ont toutefois tenté de me décourager!» Or, l’ouvrage ne lui a jamais fait peur. Durant ses études collégiales, elle se tapait quatre traites par jour sur deux fermes laitières, en plus d’assister à ses cours. Ses journées débutaient à cinq heures et l’horloge marquait 7 heures du soir avant son retour au foyer maternel. Elle pouvait ainsi payer la bouffe des génisses achetées au fil des ans qu’elle gardait chez sa mère, dans une partie du bâtiment abritant le clapier. Mais en mai 2010, ces revenus ne suffisaient plus et les bêtes manquaient d’espace. D’où son empressement à se lancer dans l’aventure dès le début 2011!

Difficile

Une nouvelle venue peut partir sa propre ferme laitière, mais ce n’est donné à tout le monde. «Il faut de l’expérience, une bonne formation, des capacités de gestionnaire, et savoir garder l’équilibre entre l’amour des vaches et les revenus à générer», avance Daphné. Le financement constitue la principale pierre d’achoppement. Daphné a su tirer les bonnes ficelles.

Elle a élaboré un excellent plan d’affaires qui lui a même valu une bourse de 1500 $ offerte par Financement agricole Canada (FAC). C’est d’ailleurs FAC qui a évalué qu’elle pouvait acheter 12 kg de quota. «J’ai préféré me limiter à l’achat de 11 kg et garder 25 000 $ pour compléter mon cheptel laitier. FAC a pris 100 % de la valeur du quota en garantie et ma mère m’a cautionnée.» Avec le prêt de 5 kg de quota pour la relève de la FPLQ, Daphné exploite 16 kg de quota depuis décembre dernier. Le prix du quota ne l’a pas découragée. «Je savais que le quota coûte 25 000 $ par vache. J’ai assumé de payer ce prix, sachant que j’aurais des revenus stables», a-t-elle simplement confié.

À force de téléphones et de visites de fermes, elle a dégoté une étable inoccupée à Brownsburgh-Chatham, à 35 minutes de la frontière ontarienne. «Je n’ai eu que des réparations mineures à faire. J’ai conservé le système de traite, avec pipeline, les attaches et le réservoir à lait.» Heureux hasard : c’est Nathalie Malo, une ancienne présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec, qui lui loue l’étable!

Le cheptel comprend 24 vaches en lactation : Rosie et 23 Jersey pur-sang entrées dans l’étable le 29 novembre dernier. Daphné n’a pas chômé depuis, occupée par huit vêlages. Cette entrepreneure aime les Jerseys pour leur gabarit, leur tempérament et leur curiosité. «Leur taux élevé de gras (5,2) et de protéines (4,0) compense le fait qu’elles donnent moins de lait», fait-elle valoir. Certaines des 13 Jersey acquises récemment affichent des taux de matières grasses variant de 4,9 à 7,9 au contrôle laitier. Ses meilleures productrices, dont Sophia, une TB 85, génèrent 25 litres de lait par jour, soit 10 litres de plus que la moyenne du troupeau. Daphné trait ses meilleures têtes, les deux tiers du cheptel, aux huit heures. L’écart est de 16 heures pour les «vaches avancées en lait, un plus pour la santé du pis et des trayons», dit-elle.

L’avenir

Daphné n’a pas encore touché sa subvention à l’établissement de 40 000 $, faute d’avoir terminé un cours de français. Dans l’immédiat, elle veut dégager 4000 $ pour acheter des tapis, afin de donner plus de confort à ses amours. Plus tard, elle aimerait acquérir son étable et des terres afin d’envoyer ses bêtes au pâturage. «Je veux toutefois m’en tenir à une vingtaine de vaches et optimiser leur potentiel grâce à de bons croisements et à une gestion efficace, a-t-elle confié. Je pourrais alors transformer leur lait en beurre et en crème glacée.» Daphné envisage aussi de développer le potentiel laitier de quelques sujets Shorthorn.

L’achat de machinerie pour cultiver la terre ne l’intéresse pas. «Après bien des calculs, j’ai conclu qu’il est plus avantageux de bien gérer le troupeau, ma passion, et d’acheter l’alimentation.» Daphné rayonne de fierté d’avoir créé sa propre entreprise. «Si je n’avais pas pu le faire, j’aurais tout de même gagné ma vie en agriculture, comme gérante de ferme laitière, ou qui sait, comme partenaire avec ma mère dans l’élevage cunicole. Chose certaine, c’était l’agriculture ou rien!»