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L’intelligence artificielle (IA) s’installe dans les étables d’ici et d’ailleurs. En fait, elle y fait timidement sa place depuis un moment, mais les améliorations de cette technologie dans les dernières années apportent une nouvelle vague de possibilités.
« Souvent, avec les robots de traite, les producteurs pensent qu’ils ont tout ce qu’il leur faut. C’est vrai qu’avec les détecteurs et l’automatisation, on peut déjà faire beaucoup, mais il leur manque toujours le portrait complet », croit Kevin Wade, professeur au Département de production animale de l’Université McGill.
Avec son groupe de recherche, il travaille présentement sur un projet pilote où l’IA surveille différentes valeurs lors des collectes de lait (taux de gras et de protéines, mais aussi d’urée et d’acide gras), afin de détecter les valeurs aberrantes et d’en déterminer la source. Parfois, les anomalies sont dues par exemple à la nutrition, mais d’autres fois, c’est le premier signe d’une maladie en développement. Grâce à l’alerte donnée par l’IA, le producteur pourra rapidement cibler le problème et le régler avant qu’il n’empire, évitant alors des conséquences économiques.
D’autres applications de l’IA assistent déjà plusieurs producteurs dans leurs tâches quotidiennes, incluant les colliers enregistrant les mouvements ou la rumination de la vache. De subtils changements de ces paramètres peuvent indiquer avec plus de précision le moment où la vache est en chaleur, ce qui améliore grandement le succès de l’insémination, en plus de pouvoir signaler certaines maladies.
Optimiser l’avenir
Si plusieurs applications de l’IA cherchent à optimiser les actions du producteur au quotidien, d’autres visent à améliorer la production en amont, en tentant de prédire quelles décisions seront plus payantes à long terme.
Par exemple, le professeur adjoint au Département des sciences animales de l’Université Laval, Éric Paquet, tente de déterminer avec d’autres chercheurs ce qui rend une vache plus résiliente. Pour y arriver, ils allieront les analyses du lait à d’autres données comme la génomique de la vache ou l’environnement de la ferme, puis ils entraîneront l’IA à reconnaître les recettes gagnantes. « En combinant toutes sortes d’informations, on espère arriver à prédire quelle sera la meilleure vache pour chaque environnement », résume le professeur Paquet.
D’autres projets encore tentent de calculer les impacts des conditions de gestation et du début de vie du veau sur la rentabilité de la vache une fois adulte (Université McGill), ou de prédire jusqu’à 18 mois à l’avance le moment où l’animal devra être réformé (UQAM).
Un secteur encore négligé
Avec tant de projets en cours ou sur la table à dessin, les prochaines années semblent prometteuses. Les experts rencontrés par L’UtiliTerre s’entendent néanmoins pour dire qu’on pourrait faire beaucoup plus. Pourquoi ? Parce qu’autant le financement que les experts en IA intéressés à appliquer ces outils à l’agriculture se font rares.
« Je dirais qu’il y a un manque d’intérêt pour l’IA dans le secteur agricole en ce moment. Si on regarde la quantité de startups en IA en général, puis la proportion qui s’y intéresse en contexte agricole, on est sous-représentés, loin derrière… Pourtant, si on regarde en termes de revenus, le bioalimentaire est un secteur vraiment important », fait valoir le professeur Paquet. Il concède que l’IA appliquée aux cultures « a un peu plus la cote », avec les drones qui observent les champs et forêts, mais à son avis, la production animale est laissée pour compte, présentement.
Le retard pourrait toutefois être rattrapé dans les prochaines années, espère M. Paquet. Il souligne par exemple que l’Université Laval adapte présentement son programme d’agronomie pour y intégrer de la formation à propos des données. Les futures cohortes seront par conséquent plus conscientes de ces possibilités.
L’accès de plus en plus facile à des outils d’IA démocratisera aussi leur utilisation, ajoute Myriam Côté, consultante indépendante en IA, qui a également travaillé 10 ans chez MILA, un institut de recherche sur l’IA récemment converti en organisme à but non lucratif.
« Il y a une révolution dans l’IA depuis quelques années, avec ce qu’on appelle l’apprentissage profond, et on n’a pas exploré toutes les possibilités que ces avancées-là nous offrent. En ce moment, c’est un peu comme après l’invention de l’électricité : il y a un gros engouement et tout le monde est en train de chercher comment mettre de l’IA dans ses affaires, mais éventuellement, ça deviendra un outil ordinaire », estime la consultante.
Le nerf de la guerre : les données
Pour créer un algorithme d’intelligence artificielle et l’entraîner à bien réaliser sa tâche, il faut beaucoup de données. Or, cette réalité procure un avantage pour le Canada, dans le développement de l’IA en industrie laitière.
« Au Québec et au Canada, notre façon de gérer l’industrie n’est pas comme aux États-Unis, par exemple. Ici, le contrôle laitier est centralisé et il y a une mentalité de partage, donc on a accès à beaucoup de données de production, mais aussi à beaucoup de données historiques. Ça permet aux producteurs de se comparer aux autres, et ça apporte les données nécessaires pour développer plusieurs projets d’intelligence artificielle », résume le professeur Éric Paquet.
Cet avantage est possible grâce à Valacta, maintenant connu comme Lactanet, une organisation qui regroupe Valacta ainsi que le Réseau laitier canadien et CanWest DHI.
Toutefois, malgré cette avance, l’accès aux données rencontre d’autres obstacles, à commencer par les compagnies qui forcent parfois les producteurs à céder leurs droits sur les données récoltées par leurs appareils.
« C’est comme quand on installe n’importe quelle application sur notre téléphone et qu’on accepte les conditions souvent sans les lire… Les producteurs feront ça aussi en installant un capteur, un logiciel ou un robot de traite, alors ils ne seront pas nécessairement au fait de ce à quoi ils consentent. C’est un enjeu plus large, et à mon avis, les organisations de producteurs devraient le prendre en main et sensibiliser les producteurs, parce qu’on doit à la fois préserver l’accès aux données et en protéger la confidentialité », affirme Daniel Lefebvre, chef de l’exploitation chez Lactanet.
Dominique Wolfshagen / Collaboration spéciale