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Intelligence artificielle, Internet des objets, big data, robotisation : les technologies qui bousculent tous les pans de l’économie font désormais leur entrée dans les poulaillers. Partout dans le monde, des équipes travaillent sur des outils capables de prédire la croissance des volailles, d’analyser leur comportement, de prédire d’éventuelles maladies, voire de décoder le langage des animaux! Portrait d’une révolution en marche.
Depuis que Christophe Baril a fait installer une pesée électronique, il s’en est toujours remis à l’algorithme de l’appareil pour faire ses prédictions à son client. Sauf une fois où il a préféré se fier à ses propres estimations. « Finalement, c’est l’algorithme qui avait vu juste et ça m’a privé d’une prime de 500 $ », raconte en riant l’éleveur de Sainte-Perpétue.
Au moment de construire un nouveau poulailler d’un étage en 2018, la Ferme Barivol s’est fait offrir par son client Exceldor l’installation de Compass, un système conçu par l’entreprise québécoise Intelia, qui analyse les données de sa pesée afin de prédire le poids des oiseaux dans les 14 prochains jours.
Puisque les données sont partagées avec Exceldor, l’abattoir est en mesure de choisir le moment optimal pour effectuer le ramassage, améliorant les chances de l’éleveur de se rapprocher de son poids cible et d’obtenir la prime qui y est rattachée.
L’outil a fait ses preuves. Dans un horizon de sept jours, il parvient à prédire le poids à 50 grammes près avec un taux de fiabilité de 99 %. « De mes trois bâtiments, celui qui a le Compass est le plus précis au niveau des prédictions. En deux ans, elle ne s’est jamais trompée, assure l’éleveur. Avec les autres bâtiments, je dois me fier à mes calculs, quitte à prendre le filet pour peser quelques poulets, ce qui stresse les oiseaux inutilement. »
Outil de prédiction
De façon concrète, les données de la pesée sont collectées par le Compass, un boîtier connecté doté d’un algorithme qui calcule le poids moyen des oiseaux et fournit une prédiction de leur croissance en s’appuyant notamment sur les résultats antérieurs de la ferme. Lorsque Christophe Baril consulte l’interface de Compass à partir de son ordinateur ou de son téléphone, l’éleveur aperçoit en temps réel la progression du lot et la prédiction de l’algorithme, qui sont comparées à la courbe de référence de la race.
Si la date de ramassage est soumise à des changements plus souvent qu’autrefois, l’éleveur se dit satisfait de ce progrès technologique.
« Ça ôte une variable du calcul et ça me permet de prendre de meilleures décisions. Si la balance me dit que je suis en retard de 300 grammes sur la date, je peux aussi jouer sur la moulée ou le contrôle des lumières pour améliorer leur performance. »
Les données, une mine d’or
L’analyse prédictive du poids des oiseaux n’est que l’une des possibilités qu’offre l’utilisation des données à l’industrie de la volaille, estime Caroline Forest, chef, ventes et marketing chez Intelia, basée à Joliette. « En installant différents capteurs, on est en mesure de collecter un grand nombre d’informations et de les croiser pour mieux comprendre de ce qui se passe dans le poulailler en temps réel. Si un éleveur constate que la croissance est plus lente qu’espérée, un outil comme le nôtre peut lui indiquer en un coup d’œil les explications possibles. Il n’est plus obligé de se fier à ses seuls souvenirs. »
L’éleveur peut suivre à la trace une foule de paramètres comme la température ambiante, le taux d’humidité, le taux d’ammoniac, la consommation d’eau et la consommation de moulée, qu’il choisira de partager avec ses partenaires s’il le souhaite.
Selon Martin Jacques, intégrateur technique de solutions d’élevage avicole chez Matiss, le partage des données en temps réel et l’analyse prédictive grâce à l’intelligence artificielle permettent d’optimiser de façon significative la chaîne logistique de l’industrie avicole. « Pour une meunerie, l’enjeu est de livrer chez le client au bon moment. C’est difficile si on n’a pas les données brutes de l’éleveur. Le big data et l’intelligence artificielle viennent tout changer. Si je suis capable de prédire le poids, je peux prévoir la consommation de moulée, résume-t-il. La meunerie qui a accès aux données de l’éleveur peut améliorer sa planification, ce qui évite des ruptures de stock et les livraisons de dernière minute. »
L’entreprise de Saint-Georges de Beauce, Matiss, spécialisée dans l’automatisation des meuneries, distribue depuis 2019 l’outil Porphyrio, développé par une équipe de l’Université de Louvain, en Belgique. Similaire sur plusieurs aspects au Compass d’Intelia, le Porphyrio est un outil entièrement virtuel qui collecte les données générées par le contrôleur intelligent du poulailler. Il est également installé chez un certain nombre d’éleveurs Exceldor afin de prédire le poids des poulets. « L’intérêt de l’intelligence artificielle, c’est que le degré de précision des prédictions augmente avec le temps. Il compare aussi les résultats de l’éleveur avec ceux de lots similaires, qui restent anonymes. »
Mieux connaître la volaille
L’utilité de ces nouveaux outils technologiques va au-delà de la seule optimisation des opérations. Ils peuvent fournir de précieux renseignements aux nutritionnistes pour améliorer le programme alimentaire – et comparer l’efficacité de deux additifs – et aux vétérinaires pour assurer le bien-être des oiseaux. « Avec certaines données en main, un vétérinaire peut déceler des signes avant-coureurs d’une éclosion, poser de meilleurs diagnostics et déterminer si une visite à la ferme est nécessaire », illustre Caroline Forest.
Dans cette optique, la société française Copeeks a conçu en 2018 un prototype de boîtier connecté pour connaître l’état du troupeau à travers l’observation du comportement animal. « Quand l’éleveur entre dans un bâtiment, il crée déjà un certain stress pour les volailles qui modifie leurs agissements et fausse leurs perceptions.
En installant une caméra et des capteurs dans le poulailler, nous sommes capables d’observer leur comportement réel », avance Julie Champion, ingénieure agricole chez Copeeks.
Pour éviter que l’éleveur passe sa journée à visionner l’activité de son poulailler, l’équipe de Copeeks a entraîné un algorithme en lui soumettant des milliers d’images de volailles, qui ont été annotées par des vétérinaires afin de différencier les comportements normaux des comportements problématiques selon leur posture, leur répartition et leur degré d’agitation.
« La combinaison de l’analyse d’images et la collecte de données permet de comprendre ce qui arrive dans le poulailler. Par exemple, si les oiseaux évitent un secteur du bâtiment, cela signifie peut-être qu’il y a un problème de ventilation ou de température, ce qui peut entraîner des problèmes de rendement », fait valoir Julie Champion.
L’outil de Copeeks, qui peut aussi bien renseigner les vétérinaires sur la santé du troupeau que les équipementiers sur l’efficacité de leur bâtiment, sera d’ailleurs utilisé par l’ITA de La Pocatière pour mesurer l’influence de la luminosité et de certains éléments de l’alimentation chez les dindons.
Un potentiel immense
S’il souhaite perfectionner d’autres aspects de sa production avant d’investir davantage dans des équipements de pointe, Christophe Baril sait que les nouvelles technologies joueront un rôle capital dans le futur de l’industrie et celui de sa ferme. « C’est sûr que je vais bientôt remplacer mes vieilles pesées. Si je regarde les autres domaines de production comme le laitier, tout reste à faire dans la volaille… »
Martin Jacques, de Matiss, prévoit d’ailleurs un brillant avenir pour l’intelligence artificielle en production avicole. « On a besoin de produire plus dans un contexte de manque de ressources et de critères environnementaux et de bien-être animal plus stricts. Le futur passe par la biostatistique prédictive et la prévention des maladies par l’intelligence artificielle. »
L’industrie de la volaille ayant fait d’énormes avancées tant au niveau génétique que nutritionnel, l’intelligence artificielle ouvre une nouvelle fenêtre pour les éleveurs souhaitant améliorer leur production, observe Caroline Forest, d’Intelia. « Pour un éleveur bien établi, chaque petit gain d’efficacité est nécessaire pour augmenter sa marge de profit. L’intelligence artificielle permet d’améliorer des détails parfois imperceptibles à l’œil nu. »
Décoder le langage des poulets Aux caquètements et aux gloussements que font ses poulets, un éleveur peut déterminer s’ils sont bien portants ou stressés. Mais est-il en mesure de comprendre ce qui cause cet état? Depuis 2012, des ingénieurs et des chercheurs de l’Université de Géorgie et de l’Institut de technologie de Géorgie collaborent avec des éleveurs afin de développer un outil capable de mieux interpréter les cris du poulet. Pour y arriver, les chercheurs ont exposé en milieu contrôlé de petits groupes d’oiseaux à différentes situations modérément stressantes, comme une augmentation du niveau d’ammoniac ou une infection virale bénigne, tout en enregistrant leurs vocalisations à l’aide d’un micro. Ces enregistrements ont été par la suite introduits dans un programme d’apprentissage automatique, entraîné à reconnaître les différents sons. Le logiciel peut notamment détecter si les poulets sont incommodés par un stress thermique et identifier les râles associés à une infection respiratoire. L’équipe de chercheurs souhaiterait continuer à recueillir des informations sur les cris des poulets en réaction à des facteurs comme l’accès à l’eau et à la nourriture, mais s’est heurtée jusqu’ici à un défi technique important : le logiciel n’arrive pas à détecter les changements subtils de la vocalisation de la volaille dans le bruit de fond des poulaillers industriels. S’ils parviennent à surmonter cet obstacle, les chercheurs aimeraient intégrer cette technologie aux bâtiments de production.
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