Actualités 26 septembre 2014

L’homme qui a habillé l’île d’Orléans

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Unicité. Originalité. Authenticité. Voilà ce que plusieurs recherchent lorsque vient le temps de décorer leur demeure. À l’île d’Orléans, un artisan a « habillé » de nombreuses maisons au gré de son imagination.

« J’ai ça en moi. Cette capacité à inventer un couteau qui produira une moulure ou une tête de châssis unique. Car mon travail, c’est simplement faire ce que les autres ne font pas », résume en quelques mots Omer Labbé, un gaillard qui tient un atelier d’ébénisterie depuis 70 ans dans les somptueux paysages de l’île d’Orléans.

De l’art
Les réalisations de M. Labbé ont franchi le pont de l’île à maintes reprises; certaines se sont retrouvées à Québec, à Montréal et même à l’extérieur de la province. On fait appel à lui pour des pièces sur mesure, par exemple des marches dont les extrémités sont travaillées afin de leur conférer une coquetterie particulière, ou des frontons (têtes de fenêtres) dont le trait de coupe reçoit le passage d’une toupie, un outil rotatif créant différents reliefs. Ce type de détails, qui relèvent de l’art diront certains, ne passe pas inaperçu et rehausse le visuel d’une maison. L’une des spécialités de M. Labbé consiste également à recréer certains articles en bois provenant de demeures ancestrales. « Des propriétaires de vieilles maisons ayant plus de 200 ans viennent me voir avec un morceau de leur poteau de galerie, une fenêtre, une porte ou une moulure abîmée. Et je refais le même modèle. Je me souviens d’une pièce particulièrement complexe. J’ai été un mois à la regarder… Un beau matin, j’ai compris comment y arriver et je l’ai faite. Le client était très satisfait », se remémore M. Labbé.

Ses parents voulaient en faire un curé. Mais Omer Labbé préférait suivre les traces de son paternel, qui utilisait une portion de l’atelier dans lequel il travaille aujourd’hui. « Mon père m’a initié. J’ai commencé avec ses outils : une varlope, un bouvet et un banc de scie fonctionnant… à la gazoline! C’était très rudimentaire à l’époque, surtout comparativement aux moulureuses hydrauliques d’aujourd’hui! Mais il y avait de très bons menuisiers dans ce temps-là. Encore aujourd’hui, je constate leur travail méticuleux et, même si je suis réputé, je ne parais pas gros comparé à eux », déclare l’ébéniste avec modestie. Ce dernier est considéré comme un bourreau de travail, qui ne ménage pas ses efforts pour obtenir le résultat escompté. « Je me suis développé au fil du temps, en maintenant un rythme d’environ 10 à 12 heures de travail par jour. Mes vacances, je les prenais la nuit. Maintenant, à 89 ans, j’ai ralenti, je me limite à six heures par jour », mentionne celui dont l’atelier transforme environ 25 000 pieds de bois annuellement.client1 (1)

Puiser la force de l’arbre
S’il avoue avoir un faible pour les portes en bois massif qu’il conçoit, Omer Labbé est aussi fier de ses moulures, plus spécifiquement ses propres modèles de frontons. « Les têtes de châssis deviennent très populaires. Et avec raison : c’est pas mal plus beau sur une maison, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les couteaux que j’ai inventés créent des têtes de châssis uniques. Des modèles qui risquent de me survivre », précise-t-il. Omer Labbé mentionne d’ailleurs que le choix du bois constitue la pierre angulaire d’un travail durable. Il importe ainsi des planches des États-Unis où, selon ses dires, les forêts mieux préservées fournissent des arbres plus vieux, d’un bois de qualité supérieure. Sur le plan technique, l’homme assure réussir des pièces inusitées grâce à sa persévérance, mais aussi à sa force intérieure. « Quand j’allais au bois, je choisissais un arbre qui m’impressionnait par sa taille et sa beauté. Je le prenais entre mes mains pour saisir sa force, et je lui demandais de m’aider à en faire quelque chose d’aussi beau que lui. Je crois réellement que les arbres et les levers de soleil m’ont donné ma force » avance-t-il, philosophe.

Toujours au poste
Cet ébéniste soutient poursuivre continuellement l’apprentissage du métier – en dépit de son expérience de 70 ans. « On a toujours quelque chose à apprendre », assure-t-il. Soudainement, son chien Copain lève l’oreille : un client approche. « Tu vois, l’ouvrage rentre chaque semaine. Je continue de me développer, car il y a régulièrement un client qui me demande quelque chose de particulier. Ce sont des défis, et tant que j’en suis capable, je vais continuer », affirme M. Labbé. L’ébéniste n’a pas d’enfant. Son commerce est sa vie. À qui léguera-t-il son savoir? « Ma relève, c’est mon employé, à moins que, d’ici là, je rencontre une petite jeune de 20 ans », lance-t-il à la blague.

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