Actualités 25 septembre 2014

De temps et de vent à Saint-Venant

 

Les pieds solidement ancrés dans le sol, Richard Séguin hume le vent qui balaie ses cheveux. Le regard fixé vers l’horizon, le chantre embrasse montagnes et vallée où il vit depuis 40 ans. Heureux d’habiter cet espace, il est chez lui dans cette région rurale où il a pleinement conscience d’être au bon endroit au bon moment. Éole vient lui murmurer à l’oreille ses plus belles mélodies.

« Ici, on dirait que j’ai une plus forte emprise sur le temps », témoigne-t-il au sujet de son village d’adoption, Saint-Venant-de-Paquette. Cette poigne sur les jours qui défilent lui aura permis de signer 18 albums depuis 1972. Une œuvre magistrale dont chaque note et chaque mot portent la couleur de cette communauté rurale nichée au cœur des Appalaches, auxquelles il rend hommage sur son plus récent CD.

« À Saint-Venant, ajoute-t-il, tu peux être maître de ton temps. Ici, tu peux avoir une harmonie avec le temps qui passe. Le temps, c’est ce dont j’ai besoin pour écrire. »

Des hauteurs des Cantons-de-l’Est, Richard Séguin s’enivre à pleins poumons. Le vent transporte un air toujours frais, vivifiant, bien oxygéné par une forêt omniprésente et auquel se mêle un doux parfum des collines fleuries. S’il comprend très bien l’attachement des Gaspésiens pour la mer, il carbure pour sa part à l’énergie des montagnes. « J’ai besoin d’être en altitude, confie-t-il. Ici, c’est une terre de vent, et j’aime beaucoup ça. Le vent, c’est l’élément qui accompagne ma musique. Je suis influencé par ça. »

Pas une chanson de Richard Séguin n’est spécifiquement dédiée à la campagne. Pourtant, elles témoignent toutes du « besoin d’habiter l’espace ». Qu’il s’agisse de L’envie d’y croire, L’usine, À quoi bon courir, Le son des songes, chanson composée pour la famille de son ami Florent Vollant, ou encore Terre de Caën.

« Elles témoignent d’une sensibilité d’ici, dit-il. Je me laisse imprégner par la place. Dans Journée d’Amérique ou Aux portes du matin, j’ai fait beaucoup d’improvisations vocales, des immenses chantings. C’est inspiré d’ici. »

 

Des insulaires
Originaire de Pointe-aux-Trembles, Richard Séguin a d’abord humé la fumée des raffineries de l’est de Montréal. En comparaison, Saint-Venant-de-Paquette constitue « un trésor », à la fois village, refuge et abri. Il y est arrivé un peu par hasard, poussé par la brise hippie des années 1970, au moment où sa carrière prenait son envol. Étudiant, il fréquentait le collège Roussin qui amenait ses ouailles en expédition chaque année à l’abbaye Saint-Benoît, près de Magog. Des années plus tard, il aura le réflexe de refaire ce pèlerinage. Durant le trajet, un « immense signe de Peace » peint sur le toit d’une grange le conduit dans une commune. Il y apprend que des terres sont à vendre pas cher à Saint-Venant.

En compagnie de sa jumelle Marie-Claire, il y achète un lopin où prend bientôt forme une « commune de musique », mais où chacun profite de son espace personnel. Les valeurs d’autonomie, de ressources renouvelables et d’indépendance énergétique y sont déjà bien présentes. Parmi les groupes les plus populaires de l’époque, les Séguin sont constamment en tournée. Comme sa véritable maison se trouve « sur la route », Richard ne prendra véritablement racine à Saint-Venant qu’en 1995. Un nouveau Richard Séguin s’épanouit, un campagnard fier de son milieu et entièrement dévoué à sa communauté.

« Après les tournées, confie-t-il, je me suis senti intégré. J’ai surtout apprécié l’accueil des gens. Il y a un respect aussi. On dirait que cela s’est fait naturellement. »

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Devenu membre des Amis du patrimoine de l’endroit, il a vite l’occasion de s’impliquer dans un projet colossal quand l’archevêché de Sherbrooke met en vente l’église paroissiale. Ce groupe local d’action en fait l’acquisition avec la dizaine d’acres de terrains adjacents. Richard s’investit naturellement dans les spectacles-bénéfice pour la préservation du bâtiment, plus de 600 000 $ ayant été nécessaires à sa réfection. On le devine, il joue aussi un rôle important dans la constitution du Sentier poétique, un lieu de silence aménagé pour offrir la lecture des plus belles poésies des Cantons-de-l’Est avec présentation de chacun de ses auteurs.

« On faisait des bees, des corvées, durant les fins de semaine, tout ça bénévolement, rappelle-t-il. J’ai reçu de cet endroit, je vais redonner. On est comme des insulaires à Saint-Venant, ajoute-t-il. Les chicanes ne peuvent pas durer longtemps. »

Être à l’écoute
Le succès de l’épanouissement d’une communauté rurale, synthétise Richard Séguin, repose sur l’écoute, l’art de mettre à contribution toutes ses forces vives, enfants et aînés compris. Dans le Sentier poétique, on a d’ailleurs pris soin de confier la plantation d’arbres aux plus jeunes. Ils en sont maintenant les gardiens. Un jour, rappelle-t-il, la journaliste Hélène Pedneault a déclaré que les Paquettevilliens ont réalisé ce Sentier « parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible ».

L’auteur- compositeur-interprète admet d’emblée que ses plus beaux souvenirs trouvent leurs racines dans le bénévolat effectué à Saint-Venant. Dans le travail partagé, souligne-t-il, il a découvert deux mots trop rares : « enthousiasme » et « ferveur ». « C’est aussi fort qu’une création musicale. C’est comme plein de monde qui joue un instrument différent avec sa partition. À la fin de la journée, on est fatigués, on rit, on prend une bière ensemble. C’est ça, mes plus beaux souvenirs. »renoncer

Renoncer à renoncer
Engagé, Richard Séguin constate que la culture est portée à bout de bras au Québec. Pas vrai que le privé peut tout résoudre, qualifiant de « matière à scandale » les coupes de 28 M$ du gouvernement Harper en culture. Que ce soit Correspondances d’Eastman, Espace Félix-Leclerc ou les Jardins de René Derouin, il ne peut que se réjouir des « belles initiatives » et du « dynamisme » affiché par le milieu, admettant aussi percevoir « fatigue et épuisement ».

« Il y a une grande prise en main, un effort de survivance en région, observe-t-il. Je vois ce qui se passe en Abitibi avec ses festivals ou encore le rayonnement international du Festival en chanson de Petite-Vallée. Les régions, c’est multiple. On est encore dans les balbutiements. La culture est un élément de rayonnement, une façon de concevoir le monde. C’est de la matière première autant que l’économie. »

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Il se fait soudain ironique en pensant que son village a été classé dévitalisé. Il le voit plutôt comme un village qui renonce à renoncer. « C’est comme le pays », songe-t-il. Faudrait bien penser à trouver un nouveau qualificatif, question de lancer un message plus motivant que « tu es dévitalisé, envoye, refais-toi une santé ».

Richard Séguin trouve aussi très réconfortantes les initiatives rurales. Pas une semaine ne se passe sans qu’il ne soit invité à témoigner de l’exemple du Sentier poétique, une initiative qui pourrait fort bien être transposée sur le mont Royal, pense-t-il.

 

« Longtemps la ruralité a été une belle grande maison, pleine de pièces riches en tout, mais les portes fermées. Aujourd’hui, on ouvre les portes. Les gens ne sont pas avares de leur réussite. »

Le premier geste de Richard Séguin, s’il devenait un jour ministre de la Ruralité, serait de convier le milieu à faire le point sur les récentes trouvailles afin de partager ces outils d’un mode de vie original. Pour illustrer la force créatrice pouvant naître d’un milieu autrefois isolé, il cite le cas du Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est du Québec (ROSEQ), une association de petites salles de spectacles en Chaudière-Appalaches, Bas-Saint-Laurent et Gaspésie. « À ceux qui ont des projets pour leur communauté, enchaîne-t-il, je leur recommande d’arrêter de remplir des papiers. Commencez! »

L’avenir
Richard Séguin entrevoit l’avenir de la campagne avec lucidité. D’abord, dit-il, il faudra repenser avec cohérence la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Sans tomber dans le piège des parcs à roulottes, il conviendrait d’accommoder les jeunes familles, croit-il. Question de remplir les rangs, les gens devraient avoir la possibilité de se bâtir une maison sur une acre ou deux en bordure des chemins. Il cite le cas de Saint-Camille, dans les Cantons-de-l’Est, qui a bien compris l’importance de favoriser l’établissement de nouveaux résidants.

« Il est beaucoup plus facile de vieillir dans un petit village parce que l’entraide est là, affirme-t-il avec conviction. C’est une valeur qui se vit dans le milieu rural et qui fait partie d’une longue tradition. Ça se faisait naturellement autrefois, mais ça n’apparaît pas dans les statistiques. »

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