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Les producteurs de maïs-grains biologiques du Québec connaissent de plus en plus de difficultés à livrer une récolte sans traces d’organismes génétiquement modifiés (OGM).
Idem pour le canola, où même au Lac-Saint-Jean, des agriculteurs ont vu leur récolte tester positif à un dépistage d’OGM. « Ici, le problème numéro un avec le canola, je vais te le dire, c’est la contamination avec les OGM. L’an passé, notre récolte a été déclassée puisqu’elle contenait des OGM. Pourtant, nous avons tout fait dans les règles de l’art et nos semences avaient même été testées sans OGM », se désole Christian Taillon, copropriétaire de la Ferme Taillon et Fils, située à Saint-Prime, au Lac-Saint-Jean.
Or, le canola, comme le maïs, est une plante qui présente un haut risque de contamination génétique (voir tableau 1), notamment en raison du taux très élevé de pollinisation croisée avec les cultures génétiquement modifiées du territoire. Pour Christian Taillon, le risque est devenu trop grand. Et à contrecœur, il a décidé de délaisser le canola en 2014. « J’ai eu un appel cette année d’un acheteur voulant 400 à 600 tonnes de canola bio, car le producteur où il s’approvisionnait ne pouvait plus livrer de récoltes biologiques sans OGM. Je lui ai dit : “Oublie ça; j’ai moi-même des problèmes.” C’est dommage. Car le canola bio se vend à un prix intéressant (1 300 $ la tonne) et c’est une culture qui est vraiment adaptée à notre région », souligne-t-il.
Les semences…
La contamination génétique émane de différentes sources : les déplacements de pollens, la manipulation de la récolte (moissonneuse-batteuse, camion ou élévateurs mal nettoyés) et l’achat de semences, déjà… contaminées. Il semble par ailleurs, selon les investigations de Christian Taillon, que le déclassement de sa récolte de canola en 2013 a été causé par des semences qu’il a achetées –pourtant certifiées biologiques – lesquelles étaient en vérité, elles-mêmes contaminées d’OGM…
« De la semence de canola 100 % non OGM, ma foi, c’est rendu tout un défi pour en trouver. Nous avons contacté Agriculture et Agroalimentaire Canada, des universités, mais rien à faire. C’est pénible. On essaie d’en importer d’Europe… », renchérit un autre producteur de grains bio du Lac-Saint-Jean, Jacques Dallaire, de la Ferme Tournevent.
Au fil des appels, il semble que le problème de semences de maïs ou de canola contaminées aux OGM soit généralisé. En Montérégie, La Coop Agrobio regroupe près de 25 producteurs qui cultivent environ 4 000 hectares de grains biologiques. Face à l’évidence, et sous la demande des membres, la Coop a pris l’initiative de faire tester par un laboratoire reconnu des variétés de maïs vendues comme étant sans OGM. Les résultats des 5 dernières années laissent pantois : 65 % des 115 variétés testées étaient contaminées par les OGM (taux de 0,1 % d’OGM et plus) et 2 variétés ont même été testées à 5 % ou plus d’OGM… Bref, seulement 15 % des 115 variétés de semences de maïs dites sans OGM ne contenaient vraiment aucune trace d’OGM! Chez les cultures de soya, ce type d’évaluation est réalisé depuis les deux dernières années seulement, mais il montre aussi des lots de semences vendus comme étant sans OGM, mais contaminés aux OGM.
Le moment de passer à l’action
Les producteurs de grains biologiques doivent acheter de la semence certifiée biologique, mais lorsque celle-ci n’est pas disponible, ils peuvent employer de la semence conventionnelle, sans OGM et non traitée. Or, il suffit d’ouvrir un catalogue de semences pour constater que les grandes compagnies semencières, particulièrement dans le cas du maïs, réservent maintenant une place très mince aux produits qui ne sont pas génétiquement modifiés. De plus, comme le souligne Maude Forté, de La Coop Agrobio, « les compagnies ne testent pas le pourcentage d’OGM des quelques produits qu’ils vendent sans OGM ». Pour Jacques Dallaire, il est minuit moins dix. « Les grands semenciers ne se préoccupent pas des petits marchés comme le bio. Il faut une intervention des pouvoirs publics pour nous permettre d’avoir accès à des semences réellement sans OGM. C’est le moment de passer à l’action, car si on laisse aller les choses, dans 50 ans, tout sera contaminé », plaide-t-il. Car déjà, dans le maïs-grains du moins, les problèmes de contaminations génétiques semblent avoir une ampleur importante, comme en témoigne d’ailleurs un acheteur de grains basé à Nicolet. « Nous ne faisons plus analyser de maïs bio, car il testerait pratiquement toujours positif. Juste les semences contiennent déjà entre 0 et 3 % d’OGM. Si tu additionnes ensuite la contamination par le pollen, de même que celle associée au mauvais nettoyage des machines, le pourcentage grimpe », mentionne David Proulx, directeur général de RDR Grains et Semences inc., qui tient à souligner la situation plus positive du soya. « Je dirais que seulement 5 % du volume du soya bio teste positif. »
Des dommages collatéraux
Les effets collatéraux du grain contaminé sont majeurs, car ils exercent un impact sur toute la filière animale. Un producteur d’œufs de consommation a dû changer sa source d’approvisionnement en maïs biologique, car la contamination aux OGM menaçait sa certification. Embarras similaire pour un producteur laitier qui achetait du maïs québécois biologique. Le certificateur a prélevé un échantillon de ce maïs qu’il donnait à ses vaches. Le test de dépistage aux OGM s’est révélé positif et la certification biologique de l’éleveur a été suspendue temporairement…
Abdiquer?
L’enjeu de la contamination OGM suscite d’intenses discussions dans toute la filière biologique. Notamment en cette période de révision de la norme biologique canadienne; certaines personnes se demandent s’il ne serait pas préférable, vu les difficultés d’obtenir une récolte de maïs et de canola sans traces d’OGM, de permettre légalement au producteur de livrer des grains avec un certain taux d’OGM. À ce sujet, un groupe d’agriculteurs, d’acheteurs, de semenciers et d’autres acteurs préoccupés par les risques de contamination des grains biologiques ont tenu une réunion jugée « très positive » le 15 juillet dernier afin d’échanger, en partie, sur ce concept du seuil de tolérance d’OGM. La majorité était plutôt contre et Jacques Dallaire résume pourquoi : « Il y a des acheteurs et des consommateurs qui achètent du bio pour la simple raison qu’ils ne veulent pas d’OGM. Si nous permettons un certain pourcentage d’OGM, l’industrie perdra des clients. Dans le lin brun par exemple, une sorte d’OGM vient de sortir. Les clients sont devenus craintifs quant au risque d’acheter du lin bio contaminé d’OGM. Alors ils n’en veulent plus », explique-t-il.
L’acheteur David Proulx jure quant à lui qu’un inventaire de grains biologiques avec des traces d’OGM serait difficile à gérer. « Est-ce qu’il faudra un silo et un élévateur pour du grain bio sans aucune trace d’OGM, un autre silo pour celui où l’on ne trouve que des traces d’OGM et un autre pour le grain qui en contient un peu plus? » questionne-t-il.
Pas de solutions magiques
Les producteurs biologiques interpellés dans le cadre de cet article ne blâment pas leurs confrères qui cultivent des variétés génétiquement modifiées. Au contraire; certains travaillent même avec leurs voisins pour trouver des solutions. Mais un fait demeure : la solution magique n’existe pas. « Premièrement, nous manquons de données. Quelle est la distance sécuritaire qui peut protéger un champ bio d’un champ OGM? » s’interroge M. Taillon, qui participe à un essai où des ruches ont été installées entre sa terre et celle de son voisin afin d’évaluer les distances de pollinisation croisée.
De l’avis de Maude Forté, une solution pour diminuer la contamination des semences consisterait à favoriser l’autoproduction à la ferme. « Nous avons remarqué que la meilleure façon de diminuer la contamination des semences, c’est un système intégré verticalement, où il n’y a pas d’intermédiaires. La même entreprise est responsable de toutes les étapes de production de la semence afin de fournir un produit 100 % sans OGM. L’autoproduction de semence à la ferme constitue donc une solution, mais pour compliquer les choses, La Financière agricole du Québec a décidé de ne plus couvrir ce type de production », dénonce Mme Forté.
Concernant la présence d’OGM dans la filière bio, une solution globale consisterait à tout tester; c’est-à-dire chaque lot de semences avant de les mettre en terre et chaque récolte préalablement à la vente. Une stratégie qui imposerait de solides contraintes en logistique. « Dépister les OGM c’est un autre problème. Dans le maïs, il y a beaucoup d’OGM différents [Roundup Ready, BT, Liberty]. C’est difficile à tester; ça nous prend huit bandelettes par échantillon. Si le test des bandelettes est positif, on envoie l’échantillon pour une évaluation plus poussée en laboratoire. Un test PCR dans le jargon, qui prend trois jours. Est-ce qu’on peut laisser des camions attendre trois jours dans la cour? Bien sûr que non. Idéalement, il faudrait un dispositif fiable qui détecte sur le champ la concentration d’OGM. Mais ça n’existe pas encore! » illustre l’acheteur David Proulx.
Balayer la poussière sous le tapis
Aux yeux de plusieurs, il est temps de cesser de balayer la poussière sous le tapis et de prendre les décisions qui s’imposent afin d’assurer la pérennité de cette industrie florissante des grains biologiques. Jacques Dallaire pousse le raisonnement plus loin : « Pourquoi donne-t-on ce grand privilège aux compagnies de biotechnologies et de semences de laisser décider ce qu’on mange? Il faut protéger le droit des agriculteurs de cultiver des plantes 100 % non OGM, et protéger le droit des consommateurs de manger de la nourriture non OGM », affirme M. Dallaire.